Communication responsable et… communication de crise

Dans ma série « communication responsable et… », attaquons-nous à un sujet épineux. Épineux, car vouloir rapprocher communication responsable et communication de crise, c’est friser l’oxymore. D’un côté, la communication responsable, pratique qui vise à ne pas induire les publics en erreur, à créer une relation de confiance avec eux. De l’autre, la communication de crise, discipline où l’existence de la structure prime souvent sur toute autre considération. Dans leur forte opposition long terme/court terme, cette pratique et cette discipline sont-elles impossibles à concilier ?

La réponse ne peut pas être binaire.

En tout cas, la communication de crise pousse les principes de la communication responsable dans leurs limites. Les gentils chatons de la com peuvent aller voir ailleurs, toute attitude angélique est ici vouée à l’échec. Cela tombe bien : pour moi, la communication responsable est tout sauf une façon « plus gentille » de pratiquer la communication. Quand on a le choix entre une solution où on peut se regarder dans un miroir, mais qui risquerait de générer de nouvelles critiques… et une solution beaucoup moins honnête mais qui a de bien meilleures chances de sauver la structure, laquelle choisir ?

Premier constat : la communication de crise est une communication où les réponses toutes faites n’existent pas. Et les réponses faciles, encore moins.

La crise, c’est (potentiellement) pour tout le monde

La crise, cette phase ultime de dysfonctionnement mettant en péril la réputation et/ou la stabilité d’une organisation, devrait être une préoccupation pour tout annonceur qui a envie de durer dans le temps. N’importe quelle entreprise, association, institution ou personnalité est susceptible d’être touché(e) par une crise. Même les plus établies, même les plus solides, même celles qui véhiculent le plus de positivité.

Ceux et celles qui croient qu’une crise ne peut pas les toucher prennent par cette croyance un énorme risque : celui de ne pas être en mesure de réagir de manière appropriée lorsque l’impensable se produit. Il est alors trop tard pour se rendre compte qu’on n’est pas préparés, et que la communication de crise, si elle demande des qualités d’adaptation sur le moment, ne s’improvise pas totalement[1]. Elle se prépare, elle s’anticipe ; on la répète, on la simule. C’est à cette seule condition qu’on peut être capables (dans le meilleur des cas) de prendre les décisions qui sauvent, en un temps raccourci et sous une pression intense.

La communication de crise est donc en quelque sorte la communication dans son état le plus pur : la puissance des idées fait tout. La bonne idée, exprimée de la bonne façon, au bon moment, par le bon canal. On ne parle pas de faire joli, on ne parle pas de soigner la réputation. Une idée inadaptée, et c’est la fin ; une idée juste, et l’organisation est (temporairement) sauvée.

OK, mais une bonne idée en communication de crise, c’est quoi ?

Stratégies de communication de crise

Pour faire simple, vous avez trois grandes options, avec mille nuances possibles :

  1. Reconnaître la crise, voire reconnaître votre responsabilité
  2. Déplacer la crise (sur quelqu’un à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation, sur une période passée, sur des concurrents, ou alors en changeant le référentiel)
  3. Refuser la crise (par exemple en niant ou en gardant le silence)

Dans tous les cas, ce qui importe est – on peut le déplorer mais c’est ainsi – non pas les faits, mais la perception qu’en ont les publics. Des coupables qui s’en sortent, des innocents qui subissent des accusations sans fin : situations fréquentes en communication de crise.

Et la communication responsable, dans tout ça ?

Il n’y a pas test plus difficile que la communication de crise, quand on défend qu’il est plus efficace de se montrer redevable devant ses publics. Quand on peut être prêt à lui montrer ses points faibles. Quand on prône le retour au long terme. Quand on fait le pari que la sincérité sera plus payante, et que des preuves solides et inattaquables sont nos meilleures alliées. Quand on cherche à commencer toutes ses prises de parole par un moment d’écoute des publics concernés.

Un récent article[2] conclut que les stratégies de la reconnaissance, a priori plus responsables, ne sont pas plus efficaces que les stratégies du déni, loin s’en faut.

Doit-on alors dire, comme Thierry Libaert récemment (avec beaucoup de distance et de sens de la provocation), que c’est « le dernier clou dans le cercueil de l’éthique en communication » ?

Des règles du jeu différentes

Je préfère considérer que la communication de crise est un exercice à part, et que dans ces circonstances d’urgence, les règles du jeu et les objectifs ne sont pas les mêmes. La survie de l’organisation prime sur toute autre considération. En particulier, le rapport au temps n’est pas du tout le même, ce qui a des conséquences importantes : sur le temps relativement long de la communication ordinaire, il est plus efficace de construire patiemment, de générer de la confiance. Sur le temps court, brusqué, non maîtrisable de la crise, on se met en mode sauvegarde, pour limiter les dégâts ; la confiance reviendra après.

Notre responsabilité de communicants est donc, en crise, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver ce qui peut être sauvé, et en particulier faire baisser la pression médiatique. Mais cela veut-il dire que tous les coups sont permis ? Là encore, plutôt qu’une réponse binaire, déplaçons la problématique pour la rendre résoluble : tout ce qui peut permettre de limiter les dégâts mérite d’être envisagé.

Quoi qu’il en soit, une constante : en communication, tout dépend toujours du contexte. Avec une conséquence intéressante : les compétences à développer et cultiver sont d’une part les compétences techniques pour être capables de modifier une connaissance, une perception et/ou un comportement, mais aussi, et peut-être surtout, des compétences moins souvent valorisées, celles qui permettent de faire le bon diagnostic et de mieux prévoir les réactions des publics.

J’entends bien que cette présentation des choses peut laisser perplexe : changer ainsi de règles du jeu, n’est-ce pas quelque part renier ou trahir de nobles idéaux ? D’une part, ceux qui le penseraient n’ont certainement jamais fait l’expérience de la communication de crise, où nécessité fait loi. D’autre part, ce serait considérer que la communication responsable est un absolu, dont les règles sont immuables. Eh non ! La communication responsable est relative, et dépend des circonstances. C’est une recherche du meilleur compromis, de la meilleure adaptation, d’un point d’équilibre entre des intérêts divergents.

La responsabilité, quels que soient les choix finaux, s’exerce dans le comportement du.de la communicant.e au sein de la structure en crise : garder sa lucidité, être intransigeant sur la connaissance des faits, remettre en cause les solutions trop consensuelles, se mettre à la place des autres. Les réponses doivent être apportées en pleine conscience, ce qui nécessite courage et doigté. Bref, une responsabilité hélas plus individuelle que structurelle.

Dis papa, c’est quoi cette bouteille de lait ?

Petit cas pratique pour bien saisir la dépendance au contexte, et le caractère relatif de la responsabilité : l’affaire Lactalis, qui a été révélée en décembre dernier. Quand la pression médiatique a commencé à monter et à durer autour du fait que l’usine de Craon en Mayenne était bien l’origine du lait infantile contaminé à la salmonellose, lait dont la commercialisation avait continué contre toute logique sanitaire, fallait-il adopter l’attitude la plus responsable possible, et reconnaître le plus tôt possible les erreurs, retirer les produits, s’excuser, montrer ses efforts pour que le problème ne se reproduise plus, voire indemniser les familles victimes ?

Au risque là aussi d’en faire bondir quelques-uns, je comprends parfaitement la réaction de la cellule de crise de Lactalis. Je ne la cautionne pas, je la comprends. Certes, leur passé/passif de structure vivant recluse dans sa tour d’ivoire est plus que contestable, et crée à la fois un a priori négatif pour le public et une contrainte pour les communicants. Reste que leur analyse du contexte s’est révélée globalement juste :

  1. C’est une crise systémique, donc qui ne va pas être résolue en quelques jours/semaines (la preuve, elle n’est toujours pas terminée). Démarrer trop tôt et trop fort est souvent une mauvaise idée dans ces cas-là.
  2. Lactalis n’est pas le seul à pouvoir être mis en cause : distributeurs et pouvoirs publics peuvent aussi être pointés du doigt (dilution possible de la responsabilité et de la pression).
  3. La relation entre le groupe et les marques ne se fait pas automatiquement. L’impact commercial, dans les grandes masses, devrait donc être faible.

On peut penser que ce sont des salauds. On peut penser qu’ils sont indéfendables. Mais quand on est à l’intérieur, il faut bien les aider à sortir au mieux de cet épisode, avec les contraintes qui sont les leurs. S’exprimer peu, uniquement au pic de la pression médiatique, jouer la montre : la stratégie a été globalement payante. Bien sûr, la probabilité d’être à nouveau interpellés a augmenté, et l’image du groupe en a pris un coup. Cela pourra (devra) être retravaillé dans un second temps. Ce que j’en retiens, c’est que nous avons là une solution typique de communication de crise : vraiment pas idéale sur le plan des principes, pleine de défauts, mais qui « fait le job » et assure l’essentiel.

Se confronter à la crise, c’est relativiser et enrichir le reste

La communication responsable telle que je la conçois dans l’exercice normal de la communication trouve donc dans la communication de crise ses limites. Chaque crise est une remise en cause de nos principes. Expérience violente, exigeante, intense, où l’échec est fréquent. Alors pourquoi en faire ?

Ma réponse (chacun a la sienne) : pour éviter de tomber dans le confort, et pour me confronter à la réalité, même si elle est souvent cruelle. Plutôt qu’opposer communication de crise et communication responsable, je considère que l’une n’est pas moins utile que l’autre, et que les deux permettent d’être moins dogmatique.

[1] La comparaison avec l’improvisation musicale est pertinente. Quand un musicien improvise, la musique ne lui arrive pas par l’opération du saint-esprit : une improvisation n’est que la reformulation sur le moment d’une trame (la grille d’accords) et de tout un vocabulaire travaillé et retravaillé jusqu’à ce qu’il devienne spontané (les gammes, arpèges et figures rythmiques). L’improvisation n’est donc pas la création de quelque chose de complètement nouveau, et nécessite beaucoup de travail ; idem pour la communication de crise, qui ne peut mener qu’au désastre si on aborde une crise sans jamais avoir imaginé quoi faire dans ce cas.

[2] Matteo Fuoli, Joost van de Weijer et Carita Paradis, “Denial outperform apology in repairing organizational trust despite strong evidence of guilt”, Public Relations Review, n° 43, 2017, p. 645 à 660.

Crédit photo : « We love crisis », de Daniel Lobo, sur Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.

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