Quand le Conseil de l’éthique publicitaire porte mal son nom

En complément de la tribune publiée dans Le Monde le 16/09/20 par « un collectif de responsables d’associations, comme Greenpeace et la Fondation Nicolas Hulot, de dirigeants d’agences de communication et de chercheurs en communication », collectif dont je fais partie, voici ce que m’inspire l’avis anachronique rendu public le 25 août dernier par le Conseil de l’éthique publicitaire.

Mais quelle mouche a bien pu piquer le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP), et son Président Dominique Wolton, pour publier un avis « Publicité et nouvelles censures » aussi réactionnaire ? « Trop c’est trop », paraît-il. Trop de remises en question de la sacro-sainte publicité ? Je vous recommande la lecture de cet avis assez surréaliste.

Plutôt que de poser des constats justes et de vouloir tracer un chemin pour une sortie honorable des difficultés actuelles de la communication, le choix est fait de plonger la tête la première dans trois abîmes :

  1. le déni de réalité,
  2. l’utilisation de procédés rhétoriques indignes,
  3. une stratégie qui ne peut être qualifiée autrement que stupide.

Commençons par les procédés rhétoriques : le texte part sur les chapeaux de roue, avec comme réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, un argument imparable que l’on peut paraphraser ainsi : « et les GAFAM, alors ? ». Ce procédé consistant à ne pas répondre sur le fond mais à faire regarder ailleurs est abondamment utilisé par les défenseurs de Donald Trump, notamment Fox News. On appelle cela « whataboutism ». Je ne fais pas ce qu’il faudrait, mais regardez les autres ! La posture de ce texte est clairement celle de la victimisation de la publicité, injustement attaquée et traînée dans la boue alors que tout le problème serait ailleurs. Posture classique des leaders autoritaires. Voilà le CEP en fort bonne compagnie.

Partant de là, toute la réflexion est biaisée. Il ne s’agit que de défendre la pub, et d’attaquer tous ceux qui osent questionner son rôle dans la surconsommation et les menues conséquences environnementales que cette dernière entraîne.

Il serait trop long de commenter chaque argument, mais essayons de rectifier les principales fake news du CEP.

Exercice de lucidité face à la paranoïa du CEP

NON la publicité n’est pas LE bouc-émissaire persécuté par tous ceux qui ont juré sa perte. La publicité est un des secteurs d’activité dont les pratiques ne sont plus adaptées à l’époque dans laquelle nous devrions entrer si nous voulons préserver la vie humaine sur Terre. Un des secteurs d’activité, au même titre que la grande distribution, l’agriculture, les transports, le BTP, etc. Et ce n’est pas un drame de l’admettre.

OUI la pub entraîne une surconsommation de biens inutiles. La créativité n’est pas l’objectif final de la publicité : nous ne faisons pas qu’amuser le peuple, nous influons sur ses pensées et sur ses actions. Nos professions sont pilotées par l’efficacité, les métriques, le ROI. Mieux nous faisons notre métier, plus il y a de consommation. Et ce n’est pas un drame de l’admettre.

OUI la pub véhicule des standards de comportement, et devra faire évoluer ceux-ci ; penser que l’hédoniste-égoïste pourra continuer à être le modèle à suivre relève de la dystopie, et pose question sur le mode de vie des publicitaires. Lui aussi est en train de bouger, peut-être plus lentement qu’ailleurs, mais inexorablement. Et il faudrait peut-être s’en rendre compte.

NON il n’y a pas de « police morale » qui voudrait empêcher les publicitaires de créer tranquilles. De quel côté est le pouvoir ? Point d’« impérialisme publicitaire fantasmé », juste une puissance de frappe et l’absence de contre-modèle. Depuis des années, le pouvoir prescriptif de la publicité s’effrite lentement, et les critiques montent… ou sont plus audibles. Et il faudrait peut-être un jour comprendre qu’avec Internet, les marques ne sont plus les seules à prendre la parole.

NON la volonté de réguler la pub n’est pas une négation de la capacité de libre-arbitre des récepteurs des campagnes. Le phénomène est bien connu : la perception de la publicité est mauvaise, mais l’efficacité demeure. Ce n’est pas une question de libre-arbitre, d’intelligence ou de volonté. L’influence non consciente des publicités sur nos choix est une réalité scientifique. Et ce n’est pas un drame de l’admettre, nous avons cette responsabilité.

NON la publicité n’est pas sur-régulée. En France, la soft law l’emporte sur la hard law. Quelques règles de droit avec de rares sanctions, beaucoup de textes d’auto-régulation. Si seulement ceux-ci étaient réellement appliqués ! Là encore, curieux tour de passe-passe langagier de la part de l’auto-régulation de reprocher une profusion de textes dont elle est à l’origine. Une régulation peut-être plus ferme, mais surtout plus simple et plus claire, manque cruellement à notre secteur. Et il serait temps de réformer profondément un système qui date de 1935.

NON la pub ne doit pas être la seule à changer. D’ailleurs, ne changer que la pub serait un coup d’épée dans l’eau, tant que les fondamentaux de l’économie n’évoluent pas. Le PIB et le plan comptable poussent États et acteurs économiques à accumuler sans cesse, et à ne regarder que le court terme en ne tenant pas compte des destructions et des inégalités, alors que nous aurions besoin de préserver un capital naturel indispensable à tous. La monnaie comme la dette sont également à requestionner, elles aussi génératrices de trop d’effets indésirables. Et ce n’est pas absoudre la pub que de le dire, juste identifier là où sont les vrais enjeux structurels.

Au service d’un système économique plus adapté à l’époque, la publicité pourrait sans grande difficulté jouer un rôle positif, accepté, reconnu. Sans grande difficulté, à un point près : notre tendance naturelle à l’exagération, à l’embellissement trompeur, à la manipulation. Le dixième et dernier chapitre de l’avis du CEP, intitulé « Peut-on restaurer la confiance sans mentir ? », est stupéfiant : ainsi, il est recommandé aux publicitaires de mentir pour restaurer la confiance ? Incroyable. La question est très mal posée : vu nos formats, nous ne pouvons pas tout dire, par contre nous pouvons nous efforcer de ne pas induire en erreur nos publics, et nous pouvons nous efforcer de leur donner accès aux éléments de preuve importants pour eux.

Se recroqueviller ou s’adapter ?

En prenant un peu de hauteur, c’est surtout la stratégie derrière cet avis qui laisse pantois. Bêtement corporatiste, réactionnaire, ne cherchant qu’à maintenir une position intenable et sans avenir, au prix d’oppositions frontales et de manipulations toute honte bue : si l’objectif était d’apparaître comme les méchants du film, c’est réussi.

Les quatre recommandations finales de l’avis du CEP resteront dans l’histoire… ou pas. Elles ressemblent à des éléments de langage d’un régime politique au bord du gouffre. « Se mobiliser pour lutter contre cette idéologie de l’écologisme et plus généralement de la bien-pensance » ? On se croirait dans Valeurs actuelles. La contrainte écologique est littéralement incontournable, et ne pourra que se renforcer. La publicité n’est pas plus forte que le sens de l’histoire.

Et si, au lieu de faire l’autruche, nous discutions avec ceux qui de l’extérieur dénoncent la publicité ? Ne serait-ce pas la meilleure façon de trouver un chemin pour réduire l’opposition à la publicité, en comprenant mieux les attentes de ces parties prenantes, en faisant mieux comprendre les contraintes et les mécanismes de nos métiers si divers et si passionnants ?

Bien sûr, c’est tout un écosystème, entre annonceurs, prestataires et médias, qui est en jeu. On parle de business, d’emplois, mais les impacts sont plus profonds, jusqu’à la nature des produits que l’on estime acceptables ou pas. Mais le mouvement global est celui d’un affaiblissement de cet écosystème, et un rebond « on repart comme avant » est hautement improbable : c’est le moment de changer.

S’adapter est la seule solution, et préserver le statu quo ne rendra que plus difficiles les changements inéluctables. L’éthique, c’est la recherche d’un équilibre réfléchi. Tout l’inverse de ce qu’a cherché à faire cet avis du CEP.

Crédit photo : « Scapegoat » (en français bouc-émissaire) par h.koppdelaney sur Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons BY-ND 2.0.

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2 comments to “Quand le Conseil de l’éthique publicitaire porte mal son nom”
  1. Une nouvelle démonstration que les changements viendront des citoyens et d’initiatives individuelles d’entreprises plutôt que des instances étatiques…ensuite peut être les lois évolueront elles mais n’attendons pas pour agir !

    • Merci pour votre commentaire, et bienvenue sur ce blog !

      Je suis d’accord avec la fin de votre commentaire : n’attendons pas pour agir, ne pensons pas que notre action est forcément vaine, elle peut participer à une dynamique, à changer le paysage. Tant du côté des entreprises que de la mobilisation citoyenne, il y a des choses intéressantes à faire.

      Par contre je suis moins d’accord quand vous dites que le changement ne viendra pas des instances étatiques. Déjà, le CEP n’est pas une instance étatique, tout le système d’auto-régulation tourne autour d’une asso loi 1901, et le CEP n’en est qu’une instance (c’est dire son absence d’autorité réelle). Vous me direz qu’in fine, c’est bien l’État qui peut choisir le mode de régulation, et vous aurez raison. Il n’y a quasiment rien à espérer du gouvernement actuel, pas plus que des gouvernements qui se sont succédé depuis 25 ans ; seuls des changements à la marge peuvent être arrachés de haute lutte. Reste que si c’est l’État qui fixe le cadre, il a la possibilité de faire évoluer très rapidement les pratiques, et je continue à croire que c’est un des leviers les plus efficaces.

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