La transparence selon Daniel Pennac

Le concept de transparence m’a toujours paru inadapté. Répondre à une trop grande opacité par la transparence totale, c’est remplacer un problème par un autre. Mais comment expliquer que cette revendication n’est pas la bonne ? Comme souvent, la littérature vient à notre secours. La plume de Daniel Pennac fait mouche !

La source : Daniel Pennac, « Monsieur Malaussène », 1995, folio, pp. 547 et 548.

Le contexte : dialogue entre le commissaire divisionnaire Xavier Legendre, et son beau-père, Coudrier, son prédécesseur à ce poste. Legendre est persuadé de la culpabilité de Benjamin Malaussène, le héros de cette merveilleuse saga, qui a fait de son métier de bouc-émissaire un mode de vie, et se retrouve ici coupable idéal d’un joli petit paquet de méfaits bien gratinés. Coudrier, lui, ne se satisfait pas des apparences trompeuses et des explications trop faciles ; il connaît bien Malaussène et est persuadé qu’il n’y est pour rien.

LEGENDRE  : Écoutez, père, je ferai ce que je pourrai, mais il faut que vous compreniez une chose : les temps ne sont plus ce qu’ils étaient. Beaucoup trop d’ « affaires » accumulées, ces dernières années, beaucoup trop de coupables couverts ou miraculeusement dédouanés. Cela jette un tel discrédit sur nos institutions que la démocratie elle-même s’en trouve menacée… Les exigences de transparence…
COUDRIER : Comment dites-vous ?
LEGENDRE : Quoi donc ?
COUDRIER : Ce dernier mot…
LEGENDRE : La transparence ?
COUDRIER : Oui, la transparence, qu’est-ce que c’est que ça, la transparence ?
LEGENDRE : …
*
– La transparence est un concept imbécile, mon garçon. Inopérant, à tout le moins, quand on l’applique à la recherche de la vérité. Imaginez-vous un monde transparent ? Sur quoi se découperait-elle, votre transparente vérité ? (…) Xavier ? La transparence est un concept d’escamoteur !
– Père…
– Foutez-moi la paix et écoutez-moi jusqu’au bout, je suis en train de vous rendre un service inestimable. Ce n’est pas votre vocabulaire de panoplie qui changera les mœurs de ce pays. La vérité humaine est opaque, Xavier, voilà la vérité ! Vous vous ridiculisez, avec votre transparence ! Si je vous laisse faire, vous pleurnicherez bientôt sur l’exclusion, après avoir flanqué tous mes hommes au rancard ! Il ne suffit pas d’être du bon côté des nouveaux mots, mon gendre ! Il en faut un peu plus pour éviter les gros emmerdements…
Crédit photo : « Rencontre Daniel Pennac 2015-04-04 (2)-1 », par ActuaLitté, sur Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.