Charlie, Martin, l’écologie et la communication

shutterstock_238298167Comme l’indique elliptiquement le titre, ce qui suit est une tentative de relier Charlie Hebdo, la crise écologique, Martin Luther King… et bien sûr la communication, encore et toujours. Prévoir du café et des tartines en quantité, article plutôt costaud.

Plus d’un mois après ce début janvier troublé, sommes-nous revenus à la normale ? Pour moi, le choc ne s’est toujours pas dissipé. Et pourtant… La plupart des Français ont remis leur ancienne photo de profil sur les réseaux sociaux (marrant). L’union nationale a fait long feu, les guéguerres politiciennes minables ont repris. Aucune tentative sérieuse pour s’attaquer aux causes profondes du mal n’a émergé : éducation, urbanisme, répartition des richesses, place de la jeunesse dans la société, vision de la laïcité, voire politique culturelle et fonctionnement démocratique restent flous, défaillants et inchangés. Alors, c’est reparti comme en 33 (plutôt qu’en 40) ? Non, car certains changements sont profonds. Analyse (presque) à tête reposée.

Relier

La première chose qui m’a frappé après le 7 janvier, ce sont les troublantes similarités qui existent entre le combat pour la liberté d’expression de Charlie Hebdo et le combat écologiste.

D’abord, à l’évidence, Charlie Hebdo prenait régulièrement des positions écologistes, notamment dans un excellent hors-série de 2013 consacré au greenwashing. L’influence de Fabrice Nicolino, un des blessés de janvier, assurément.

Également en commun, des récupérations qui empêchent les changements les plus importants : le greenwashing d’un côté, le « charliewashing » de l’autre, avec posture de bon aloi et mesurettes à côté de la plaque. Des discours souvent très superficiels, avec une bonne intention derrière, mais qui prêtent à confusion et in fine mènent au statu quo. La « stratégie du choc » chère à Naomi Klein, par laquelle les catastrophes sont des occasions rêvées de faire passer des mesures renforçant la mainmise de l’oligarchie sur le peuple, des intérêts particuliers sur l’intérêt général.

Évoquons aussi la présence de coupables faciles, ou encore l’illustration du fait que les grands changements ne viendront pas d’en haut, mais de la base. Le danger de réponses inadaptées est également comparable, surenchère technologique et business d’un côté, haine des musulmans et sur-militarisation de l’autre.

Questionner

Là s’arrêtent les similitudes, et là commence LA différence majeure, qui peut être résumée en une question. Pourquoi, pour défendre une liberté d’expression toute théorique (rappelons qu’en France, à la différence des États-Unis, on n’a pas le droit de tout dire !), des millions de citoyens sont prêts à descendre dans la rue, alors que pour défendre la capacité de l’humanité à passer le plus de temps possible sur cette planète, la mobilisation est cent fois, mille fois moins intense ?

Éléments de réponse : à l’évidence, le fait que 17 personnes aient été assassinées a changé beaucoup de choses. La force de l’image, de l’événement choc. L’émotion était à son comble. Également, le fait que la liberté d’expression soit un des symboles forts de la nation, depuis un paquet de dizaines d’années, alors que l’écologie est à la fois plus récente et moins bien intégrée. La réaction danoise, bien moins forte, illustre à quel point c’est une spécificité française. Spécificité aussi dans notre grande facilité à descendre dans la rue pour exprimer notre mécontentement, en pensant parfois que cela peut suffire (esprit du 1er mai 2002, es-tu encore là ?).

Le point commun de tous ces éléments ? Rien n’est rationnel. Et c’est justement là que je veux en venir.

Courant janvier, le hasard m’a mis devant un documentaire inspirant et précieux, intitulé « la longue marche de Martin Luther King » (vous le retrouverez facilement), qui relate l’aventure de l’incroyable mobilisation du 28 août 1963 à Washington, « pour l’emploi et la liberté ». Tout le monde connaît forcément cet épisode : c’est là qu’a été prononcé le fameux « I have a dream ». Le discours est passé à la postérité, mais il ne l’a été que parce que 200 à 300 000 personnes étaient venues marcher sur Washington pour demander l’égalité des droits et la fin de la ségrégation. Pas de réseaux sociaux, pas de moyens modernes de mobilisation, et donc un exploit jusque là inédit. Comment cela a-t-il été possible ? Par l’espoir totalement déraisonnable qu’une démonstration de force et de rassemblement autour de quelques idées pourrait déclencher des changements législatifs et sociétaux majeurs. Quand on essaie d’analyser rationnellement, c’est limite grotesque. Mais au moins pendant un temps, cela a réussi.

L’approche du combat écologiste, ou celle du combat pour une communication plus responsable, se sont faites sur un appel à la raison. Des preuves. Du concret. Des rapports du GIEC. Des démonstrations de l’absurdité du système d’auto-régulation. OK, c’est important, et loin de moi l’idée de tout jeter à la poubelle… mais ce n’est pas suffisant.

On le voit bien, même sans fondement solide (qui partageait les opinions de Charlie Hebdo et défendait leur droit à choquer avant le 7 janvier ? Honnêtement, pas moi), une immense mobilisation a pu se produire. Ce n’est pas la raison qui fait agir, mais l’émotion. Vérité absolue ? Non, mais vérité importante pour les communicants.

Je repense à certains propos de Simon Sinek, qui défend que ce qui fait l’adhésion à une marque ou à une cause fait appel au cerveau reptilien et aux instincts primaires… le « gut feeling », les sensations qu’on ne peut pas totalement expliquer (amis fans d’Apple, bonjour). Cette partie me dérangeait, parce que je n’aime pas l’idée de ne pas faire appel à l’intelligence des publics – question de respect. Mais force est de constater que Simon Sinek a raison.

En parlant de raison, ce début d’année m’amène donc à la réflexion suivante, là encore en rupture avec ce en quoi je croyais auparavant. L’important dans la communication n’est pas d’avoir raison, de défendre une cause juste et de communiquer autour de la justesse de la cause. L’important est de mobiliser, de fédérer. De trouver ce qui va faire écho. Et ensuite, de trouver le bon équilibre entre cette pulsion primaire et une approche plus raisonnée. Les deux doivent se compléter, s’harmoniser. Se battre pour des causes justes, d’une manière juste… mais massive, et avec l’ambition de rendre ces causes majoritaires et partagées par le plus grand nombre.

Être comme des cons dans notre coin à avoir raison, cela n’a aucun intérêt.

Avancer

Après le choc, tétanisant, irréel, après la frénésie, après l’émotion, après la réaction, reste la seule question qui vaille : que faire ?

La défense de la liberté d’expression n’est pas un combat explicite pour moi. Je me contente de vivre cette liberté, de dire ce que je pense vraiment, et tant pis ou tant mieux si cela peut en froisser quelques-uns. Mon combat, c’est de disséminer une vision de la communication fondée sur la confiance, réellement bidirectionnelle, et qui n’oppose plus l’intérêt de l’annonceur et celui des publics. Combat qui doit être remporté, qui ne peut pas « la jouer petit bras ».

Et comme charité bien ordonnée commence par ma pomme, ce blog va évoluer dans deux sens : d’abord, en plus des réflexions de fond, j’aborderai plus de méthodos et de cas concrets, avec comme objectif non plus « seulement » un changement de perception et de repères (qui reste crucial !) mais aussi un changement de pratiques, voire d’approche business ; ensuite, tout le côté « je mets le doigt là où ça fait mal » se fera maintenant via d’autres canaux. Ready, steady, go.

3 comments to “Charlie, Martin, l’écologie et la communication”
  1. Une analysé intéressante.

    Si la première étape est rapidement franchie par la plupart des gens (avec parfois des raccourcis regrettables), les deux autres mériteraient d’être plus travaillées.

    Je crains qu’au fond, pour la plupart il soit plus simple d’oublier que d’avancer en gardant en mémoire ces événements tragiques.

    Sur ce, je m’en vais à la recherche de ce documentaire sur MLK.

    • Merci pour votre commentaire, Jean (qui a failli se perdre dans les spams, ces derniers prenant vraiment une proportion de plus en plus difficilement gérable). Oui, il est toujours plus facile d’oublier que de changer réellement… et il est toujours plus facile d’invoquer des valeurs que de les incarner. Faisons le choix de l’exigence ! C’est le plus beau.

      Je n’ai pas mis de lien vers le documentaire, n’étant pas sûr de la permanence des sites. Mais il est facile à trouver.

  2. tout le monde, J’ai beaucoup adoré ce texte et je suis plutôt du même avis que vous. Je crois que ces meutres sont affreux et choquants. Je pense qu’il faut vraiment de se battre contre ce genre d’ attaques contre la liberté de blasphémer. Je considère également qu’il est nécessaire dans ce but de re-trouver et expliquer pourquoi nous sommes Charlie. Pour cela avec des amis nous avons créé le site http://facebook.com/le.daily.charlie. Le but de la page est de ressortir d’anciennes Unes de Charlie Hebdo et de les recontextualiser notamment au niveauhistorique, pour permettre à ceux qui n’aurait pas connu de comprendre l’évolution de Charlie. Malgré ces evennements, n’oublier jamais de vous marrez, c’est cela l’esprit Charlie !

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