À propos de l’ARPP – en français

La présidence du Jury de déontologie publicitaire a changé. Non-événement complet, la nouvelle présidente Valérie Michel-Amsellem étant l’ancienne vice-présidente : rien ne change. Ce qui m’a plus interpellé, c’est le petit texte intitulé « À propos de l’ARPP », en-dessous du communiqué. Cette façon de dire la vérité à demi-mot tout en en cachant l’essentiel, c’est à la fois drôle, admirable et pathétique. J’en propose donc une explication de texte, pour révéler le français derrière la langue de bois.

A PROPOS DE L’ARPP

Créée en 1935 sous l’appellation d’Office de Contrôle d’Annonces (OCA),
-> 1935 ! Le 29 août très précisément… L’ARPP espère en tirer de la légitimité, on peut aussi bien y voir un caractère ancien, limite périmé.
puis de 1953 à 2008 en s’élargissant aux autres médias existants et en devenir,
-> absolument rien n’a changé en 5 décennies, jusqu’au ravalement de façade de 2008
 en prenant la dénomination de Bureau de Vérification de la Publicité (BVP), l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) est l’organisation française d’autodiscipline publicitaire.
-> l’évolution de 2008 a consisté en un changement de nom et en une complexification de l’organisation, pour inclure les ONG sans leur donner de possibilité de peser réellement.
Présidée par une ‘Haute personnalité indépendante’, M. François d’Aubert depuis le 4 novembre 2011,
-> on appréciera l’humour ravageur de l’ARPP, qui accole un tel adjectif à un ex-ministre UMP, député (droite plutôt décomplexée) entre 1978 et 2004.
l’ARPP réunit les trois acteurs de la publicité et de la communication en général : les annonceurs, les agences, les médias et supports publicitaires.
-> aux oubliettes, la comédie de 2008, où l’on jurait ses grands dieux que l’ARPP était maintenant le lieu de rencontre entre les professionnels de la communication et la société civile. Qu’on se le dise : l’ARPP, ce sont les professionnels. Les autres ne sont que des faire-valoir.
Entièrement financée par ses adhérents (environ 650 entreprises cotisantes),
-> bien conscient que celui qui apporte l’argent contrôle le contenu, l’ARPP ne dépend que des professionnels.
qui édictent leurs règles déontologiques,
-> c’est tellement beau, tant de franchise. Remplissons les blancs de cette phrase, pour lui donner tout son sens : les adhérents de l’ARPP édictent eux-mêmes leurs propres règles déontologiques. Qui fait les règles ? Les adhérents, pas des personnalités supra-indépendantes. En une phrase, tout le mythe autour de l’indépendance et de la participation de la société civile s’effondre. Et brouf.
l’ARPP œuvre chaque jour pour préserver la liberté de création publicitaire
-> autre aveu d’importance. LE but de l’ARPP, sa raison d’être, c’est la « liberté de création ». Il faut d’urgence questionner les deux parties de cette bien curieuse expression : la liberté, mais quelle liberté ? La liberté de qui ? Quelles contreparties à cette liberté totale des publicitaires ? Concernant le côté création, puisque la liberté de création est garantie par l’ARPP, comment expliquer la grande médiocrité et la grande absence de créativité actuelles ? Le paradoxe peut interpeller. Qui dit que la liberté totale favorise la créativité ? Pour pratiquer assidûment certains domaines où la créativité est érigée en idéal suprême, je constate tous les jours que ce sont au contraire les contraintes, dont les contraintes réglementaires, qui donnent un cadre et des idées pour jouer avec ce cadre. La contrainte n’est pas l’ennemi de la créativité. Et puis, depuis quand la publicité est un métier de création pure ? Son essence, c’est de donner une bonne image ou de vendre, en utilisant un arsenal de moyens, dont l’humour, l’art, etc. Reste l’essentiel : avec cette phrase, l’ARPP dit clairement que son but est d’éviter une vraie régulation. Au nom de quoi cette profession aurait le privilège de ne pas être contrôlée ? Peur de devoir faire du travail de meilleure qualité ?
dans les limites convenues et la protection des consommateurs.
-> les « limites convenues » – et pas convenables – sont celles contenues entre le « rien faire » et le « faire si peu que cela ne change rien d’important ». Des limites convenues par qui, d’ailleurs ? Quant à la protection des consommateurs, il va falloir que l’on m’explique comment les consommateurs sont protégés quand ils reçoivent des tonnes de pubs médiocres dont la majorité donnent soit dans le « c’est pas cher » soit dans le « vous serez des dieux en achetant notre produit ».
Pour ce faire, l’ARPP a structuré autour de son Conseil d’administration représentant les trois professions, trois instances associées en amont et en aval de la déontologie publicitaire :
-> Pour ce faire, l’ARPP a mis en place un machin absolument incompréhensible, d’une complexité donnant l’apparence d’une régulation effective, mais montée de telle façon que le moindre changement prenne des mois, voire des années (rappelons-nous que l’objectif est de « préserver la liberté de création publicitaire »).

le Conseil de l’Ethique Publicitaire (CEP), présidé par Dominique Wolton, anticipe et pense les questions éthiques en publicité ;
-> « anticipe et pense ». Ô poésie, ô classe, ô miracle de l’intelligence ! Il anticipe et pense tellement qu’il n’insiste jamais sur le fait qu’il faille des sanctions effectives pour faire respecter cette fameuse « éthique ». Le CEP peut s’escrimer tant qu’il veut, les textes qu’il propose (du reste souvent assez bons) ne seront de toute façon pas appliqués.
le Conseil Paritaire de la Publicité (CPP), obligatoirement présidé par un représentant du Collège des associations de consommateurs ou environnementales (Michel Bonnet, Familles de France, depuis septembre 2008), est le lieu d’expression et de concertation des associations sur le contenu des règles de la publicité ;
-> LE lieu d’expression. Les choses sont claires : l’auto-régulation a donné à la société civile un os à ronger, un espace où elle pourrait avoir l’illusion d’être prise en compte. Aucune méprise possible, la place de la société civile n’est pas là où les décisions importantes peuvent se prendre. Il est utile de préciser que de très nombreuses associations devaient intégrer le CPP, mais ont fini par refuser, y compris des associations qui nouent souvent des partenariats avec des entreprises ou l’État. « Des associations » aurait dû être remplacé par « un tout petit nombre d’associations ».
le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP), dorénavant présidé par Valérie Michel-Amsellem (Cour de Cassation), juge de toute plainte sur le non respect par une publicité diffusée des règles déontologiques.
-> Petits accommodements avec la vérité : le JDP juge, mais n’est pas une instance judiciaire. Il ne traite pas « toute plainte », puisque d’une part il ne peut pas s’auto-saisir et d’autre part une grande majorité des plaintes sont classées sans suite, avec des explications qui ne sont jamais rendues publiques. On remarquera l’insistance sur la fonction de la présidente à la Cour de cassation, qui permet de créer un amalgame laissant penser que le JDP dispose d’un véritable pouvoir de sanction (peut-être est-ce la raison première de sa nomination ?).
22 salariés, dont une dizaine de juristes conseil qui délivrent chaque jour plus de 140 conseils tous médias et avis TV avant diffusion,
-> comment peut-on délivrer plus de 140 conseils quotidiens, quand on connaît le nombre de recommandations à respecter, et la complexité à les interpréter ? Cela fait 7 par personne et par demi-journée, ce qui semble impossible (pour prendre complètement connaissance d’une seule campagne, vérifier les faits, il me faut au grand minimum une heure, et je ne suis certainement pas beaucoup moins entraîné que les juristes de l’ARPP).
contribuent à faire vivre concrètement la déontologie publicitaire auprès des membres de l’ARPP.
-> j’aime beaucoup le « contribuent à » : impossible de prétendre, même avec beaucoup de mauvaise foi, que la déontologie est actuellement respectée.

Crédit photo : ondrej.lipar, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.

3 comments to “À propos de l’ARPP – en français”
  1. A quand un véritable organisme de contrôle pour la publicité ? Pour l’instant, j’ai l’impression que l’ARPP est juste un outil de bonne conscience pour les grandes entreprises (et non un outil de sanction). Je me souviens d’ailleurs de cette recommandation de l’ARPP sur le commerce équitable qui avait été modifiée (au dernier moment), histoire de ne pas trop embêter les grands annonceurs. Voir l’article : http://www.ekitinfo.org/journal/une-recommandation-equitable

    • Je me pose la même question, Guillaume ! 😉

      Que l’ARPP ne soit pas un outil de sanction, c’est on ne peut plus exact. Je regardais encore hier une décision du JDP, pour des vidéos sexistes. La décision a été prise le 9 septembre 2011. Près d’un an après, quand on regarde le site web en question, surprise… les vidéos y sont encore. Ce n’est pas le seul exemple du genre ; l’ARPP n’a tout simplement aucun moyen de faire appliquer ses décisions.

      Alors, quand est-ce qu’on en change ?

  2. Pingback: Les nouvelles pratiques du greenwashing… Toujours avec Areva.

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