Aux origines du greenwashing

Nous avons vu dans le dernier article comment repérer et décrypter le greenwashing. Toujours dans le cadre de la rédaction d’un ouvrage sur la communication responsable, je me suis également intéressé à la définition et aux origines du greenwashing – à la fois le terme et la pratique. L’idée de départ était de rectifier deux ou trois inexactitudes que l’on trouve habituellement sur le sujet, notamment à propos de l’étymologie et de la première utilisation écrite du terme. J’espère juste ne pas avoir ajouté d’autres âneries. Trêve de blabla, ouvrez les guillemets, ceci est une auto-citation d’un livre qui n’existe pas encore :

Définition et étymologie

Le greenwashing est la mise en scène exagérée ou mensongère de l’engagement environnemental. Il peut être pratiqué par une entreprise, un organisme public, ou un représentant politique. L’objectif premier des greenwashers (ceux qui pratiquent le greenwashing) : tromper les plus crédules ou les moins bien informés et bénéficier à bon compte de l’image positive véhiculée par l’écologie.

Ce mot-valise est issu du télescopage de green et de whitewashing, avec peut-être une référence secondaire à brainwashing (lavage de cerveau). Whitewashing, dans son sens premier, c’est le fait de badigeonner à la chaux les murs en mauvais état. Un coup de chaux, et hop ! le mur paraît comme neuf. Sauf qu’en-dessous, la réalité est moins belle. Whitewashing est le plus souvent utilisé figurativement pour qualifier l’attitude de politiciens ou d’hommes d’affaires véreux qui se refont une légitimité à bon compte (aucune référence n’est nécessaire tant nous avons tous des exemples en tête). L’application de cette critique à l’écologie est d’une logique et d’un mordant implacables.

L’étymologie du terme nous fournit ainsi une très bonne méthode d’analyse des arguments environnementaux : il suffit de penser au mur derrière la couche de chaux, de se demander s’il est pourri ou en bon état, et s’il y a volonté de cacher quelque chose, de maquiller la réalité pour la rendre plus verte qu’elle n’est. En français, le terme le plus fréquent est écoblanchiment, terme qui me paraît moins heureux que greenwashing : si le blanchiment peut effectivement désigner le fait de blanchir à la chaux, c’est à son autre sens, celui du blanchiment d’argent, que l’on pense spontanément. La confusion étant l’ennemie de la bonne communication, et la transformation frauduleuse d’argent me semblant être une moins bonne base de comparaison que celle du mur peint à la chaux, je me tiendrai donc à la version originale.

Historique de la notion et du terme

Le mot greenwashing est apparu à la fin des années 1980. La première trace écrite semble devoir être attribuée à un certain David Bellamy, botaniste et homme de télévision anglais, qui l’a laissée dans le numéro de septembre 1987 de Sanity, un périodique assez obscur édité par l’ONG britannique Campaign for Nuclear Disarmament, dans un article intitulé « Turning the tide: the world according to David Bellamy »1. Pourquoi ce concept a-t-il trouvé son auditoire ? Parce qu’il est apparu au croisement d’un état particulier de l’opinion publique et d’une nouvelle thématique publicitaire des multinationales.

Le début des années 1990 a été marqué par la première montée d’envergure de préoccupations environnementales, cristallisées autour de la première édition mondiale du Jour de la Terre (Earth Day) en 1990, qui a mobilisé 200 millions de personnes dans 141 pays, et la préparation du sommet de Rio en 1992. Les entreprises ont vite réagi à ce qui leur semblait dès 1990 être un enjeu d’opinion auquel il était indispensable de se rattacher… visiblement en toute hâte et sans préparation sérieuse. De nombreuses campagnes publicitaires ont alors vu le jour pour ne pas manquer le train de l’opinion. Vouloir trouver une légitimité écolo auprès du grand public, sans que ces préoccupations aient été réellement et préalablement prises en compte par les entreprises : quoi de mieux pour symboliser le greenwashing ?

Le terme de Bellamy atteint une audience plus large grâce à un article de David Beers et Catherine Capellaro, intitulé « Greenwash! » et paru dans l’édition mars/avril 1991 de la revue américaine engagée Mother Jones. Il doit sa véritable consécration à un guide du greenwashing écrit par Kenny Bruno en 1992 pour le compte de Greenpeace2, et n’a depuis cessé de se populariser.

Mais si le terme s’est popularisé dans les années 1990, la pratique n’en était pas à ses débuts. Aux États-Unis, une première vague de greenwashing s’était matérialisée dans les années 1960, avec la révolution verte, où les producteurs de pesticides se posaient en amies des populations, quasiment en bienfaitrices de l’humanité. À l’époque, on appelle cela « écopornographie »3. On trouve une nouvelle poussée dans les années 1980, celle-là même qui a alerté les écolos et leur a donné l’idée du terme de greenwashing.

Dans les années 1990, en France, on se souviendra du sponsoring de l’émission Ushuaïa de Nicolas Hulot par Rhône Poulenc (groupe chimique et pharmaceutique), ou encore la vague de publicités pour des aérosols avec un label resté célèbre : « protège la couche d’ozone ». Pour ceux qui n’auraient pas encore décrypté cet abus de langage classique, il y a greenwashing car l’absence de gaz CFC ne signifie pas une protection, mais plutôt une absence de destruction de la couche d’ozone ; d’autre part, l’impact environnemental ne se limite pas à la seule couche d’ozone, et se revendiquer d’un mieux-disant écologique pour des produits à l’utilité réelle limitée et à la durée de vie très courte démontre une hardiesse intellectuelle certaine…

Après une accalmie à la fin des années 1990, le vert est revenu à la mode au milieu des années 2000. On peut dater la reprise de la tendance à 2004 aux États-Unis4, puis à 2005 en France. Les fabricants automobiles et les compagnies pétrolières ont mené la danse ; à partir de 2006, c’est une véritable explosion. La thématique environnementale est dans les médias matin, midi et soir, et les grandes marques, qui sentent le bon filon, jouent à qui est le plus vert, sans qu’ils le soient devenus réellement. L’Autorité professionnelle de régulation de la publicité relève dans son bilan 2009 « Publicité et société » une multiplication par 5,5 des visuels publicitaires liés à l’environnement entre 2006 et 2009.

1 : Sanity n°9, pp. 26-28, disponible à la bibliothèque de la London School of Economics. Ironiquement ce même David Bellamy s’est récemment illustré par plusieurs prises de position… où il remettait en cause l’origine humaine du réchauffement climatique et allait jusqu’à prétendre que les glaciers ne fondaient pas, mais au contraire grossissaient. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé, ou plutôt du premier accusateur de greenwashing lui-même accusé de greenwashing.
2 : Un guide qui encore aujourd’hui vaut le coup d’œil.
3 : T. Turner, « Eco-Pornography or How to Spot an Ecological Phony », The Environmental Handbook: Prepared for the First National Environmental Teach-In, Garrett de Bell ed., 22 avril 1970, pp. 263-267, puis J. Mander, « Ecopornography: One Year and Nearly a Billion Dollars Later, Advertising Owns Ecology », Communication and Arts Magazine, Vol. 14, No. 2, 1972, pp. 45-56.
4 : Signalée par Joel Makower en août 2004.

Voilà pour le greenwashing. Maintenant si vous déduisez des deux derniers articles que mon livre ne parlera que de ce sujet et de la communication RSE, vous pourriez avoir une belle surprise – surprise que j’espère agréable, mais dont je vous laisserai seuls juges. Rendez-vous dans quelque temps pour d’autres extraits !

Crédit photo : law_keven, sur Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.

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17 comments to “Aux origines du greenwashing”
  1. Bonjour Yonnel,
    ça commence à devenir une habitude de te remercier pour tes articles pointus.
    Une question : que fais-tu des arguments sociaux/sociétaux ? Certains parlent de socialwashing. Pour ma part, j’inclus les arguments sociaux et environnementaux dans le greenwashing puisque l’écologie ne se limite pas à l’environnement.
    Au plaisir d’avoir ton avis sur ce point.
    Mathieu

    • Salut Maître Capellojahnichi 😉 (almost private joke)

      Ça commence aussi à devenir une habitude de te remercier pour tes remarques toujours très à propos. Mais c’est une très très bonne habitude !

      Greenwashing pour tout, ou distinction greenwashing/socialwashing ? Tu viens de me faire prendre conscience que je restreignais sans réfléchir le greenwashing aux questions environnementales. Je ne m’en étais pas aperçu. Pas que je ne partage pas ton constat (« l’écologie ne se limite pas à l’environnement » – ça me rappelle une certaine tribune pendant la campagne présidentielle, ça !), bien au contraire, mais cela me paraissait naturel de séparer.

      Du coup, je doute – avec tous les bienfaits que cela peut apporter. Le greenwashing pourrait donc s’appliquer à d’innombrables sujets, puisque l’écologie concerne toute l’organisation de la société… Tu veux bien m’en dire plus ? Par exemple, les campagnes récentes de McDo sur leur politique salariale, pour toi, c’est du greenwashing ?

      • 😉
        Tu répètes souvent (à juste titre) que la communication responsable ne se limite pas à la communication sur la RSE ou le DD. Le greenwashing ne serait-il pas un terme désignant l’envers de la médaille, c’est-à-dire une pratique de communication irresponsable, quel que soit le domaine ?
        Oui, je range les campagnes récentes de McDo sur leur politique salariale dans le rayon greenwashing. Du coup, on peut y mettre beaucoup de chose…

        • Ah, toi aussi tu as remarqué que je me répétais souvent 😀

          Intéressant ! Tu sais que tu es un hétérodoxe du greenwashing ? L’idée me plaît beaucoup. Pour autant cela ne correspond pas du tout à l’usage qui en est habituellement fait.

          Mais bon, tu sais quoi ? Il suffirait peut-être qu’un livre (au hasard) propose d’adopter cette acception pour qu’elle se popularise un tout petit peu. Mouaif, pas sûr.

  2. J’aurai bien envie, moi aussi, de mettre le greenwashing et ses acolytes socialwashing/localwashing/ethicwashing, etc… dans la même boite. Dans tous les cas, il s’agit de faire croire que le produit/ l’entreprise est plus responsable que ce qu’il ne l’est, que ce soit en terme de politique environnementale, sociale, sociétale.
    C’est là que le terme français écoblanchiment n’est finalement pas si mal!

    • C’est vrai que ce serait cohérent. Mais du coup, la définition et la typologie du greenwashing ne sont plus du tout, mais du tout les mêmes. J’ai un peu de mal à franchir le pas…

      En tout cas, ta voix et celle de Mathieu pèsent dans ma réflexion 🙂

  3. Il faudrait trouver un terme pour désigner le ddwashing, dans lequel on pourrait trouver toutes les catégories d’abus autour du développement durable et de la responsabilité d’entreprise…

    • Excellente idée… mais le ddwashing, phonétiquement, ça fait doigt-shing. Euh… 😯

      Pourquoi pas tout simplement whitewashing ? On est revenus très très proches du sens premier.

  4. Bonsoir
    pour ma part, je pense qu’il est inutile et vain de chercher un autre terme.
    Inutile parce que le terme greenwashing peut être élargi à tout sujet (écologie, social, éthique…) exactement comme le greenmarketing désigne le marketing de produits verts mais aussi éthiques, socialement responsables…
    Vain parce que le terme greenwashing est déjà trop employé, trop connu pour imposer un autre mot.
    À bientôt
    Mathieu

  5. Mathieu n’a pas tord, le greenwashing est maintenant assez connu. Mais je trouve que ça n’empêche pas d’avoir recours à un terme plus précis lorsque l’on veut l’être. Le whitewashing est difficile à prononcer, non? Je pensais à conserver tout simplement le terme « écoblanchiment » mais je crois que ça ne va pas, il renvoie inévitablement à l’écologie.

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    • Merci pour la précision, MrFred ! En fait, oui et non. Nous avons tous les deux raison. Oui, la première édition de la journée de la Terre remonte bien au 22 avril 1970, aux États-Unis. Dont acte.

      Je parle de la première édition mondiale de cette manifestation, celle où elle a vraiment pris de l’ampleur. Et c’était bien 1990.

      Précision utile ! Il faudrait maintenant passer à des semaines, voire des mois ou des années de la Terre… (l’espoir fait vivre)

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