La cuvée 2012 de l’étude Publicité et Société vient de sortir. Les résultats sont presque partout présentés comme une amélioration, voire un possible début de « retour en grâce » de la publicité aux yeux du public. Présentation qui ne résiste pas à l’analyse. Allez les autruches, on sort la tête du sable !
Le beaujolpif de l’étude publicitaire
J’aime bien Publicité et Société. Chaque année depuis 9 ans, comme un rituel, un mois avant le beaujolais nouveau (aucun rapport – quoique), les résultats de cette étude nous donnent du grain à moudre. Depuis que je m’y intéresse (premier article en 2009), ces résultats sont mauvais. Les chiffres sont assez crédibles, car réalisés par Tns-Sofres, pas les plus extrêmistes des militants, avec un panel de taille raisonnable (un millier de personnes) ; qui plus est l’étude est commanditée par l’agence Australie.
Australie, c’est l’agence de pub responsable des campagnes de Leclerc, dont le fameux « conso-responsable ». Pas la pire des agences, mais pas non plus un modèle, loin s’en faut. Son président Vincent Leclabart s’est récemment distingué en signant une tribune en réaction aux propositions de Terra Nova sur la pub, tribune d’une bêtise rare n’ayant pour objectif que de refuser toute concession progressiste. Entre commanditer une étude qui dit qu’il faut changer et d’un autre côté tout faire pour ne rien changer, c’est pour moi une contradiction insoluble.
Dis-moi comment tu présentes les choses, je te dirai qui tu es
Pour bien percevoir les enjeux de cette étude et l’aborder de manière originale, penchons-nous d’abord sur les titres des articles sur le sujet. C’est peu de dire que les enseignements qui en sont tirés dépendent d’un positionnement idéologique :
– d’abord le titre de l’étude : « le retour en grâce ? » Avec un point d’interrogation. On veut y croire.
– Pour CB News, les ayatollahs de la pub à papa, c’est « La publicité en voie de rédemption ». On ne se pose pas la question, c’est une affirmation, mais ce n’est que le début. On y croit à donf. Notez que dans les deux cas, le vocabulaire est biblique : « grâce » et « rédemption ». CB News fait même péter un tableau de Mantegna, « le martyre de Saint Sébastien ». Saint Sébastien qui « a survécu à sa condamnation à mort par sagittation » et qui était le protecteur du peuple contre la peste. Ça envoie du symbole. Rectification, on n’y croit pas à donf, on y croit comme on croit aux miracles. La pub pour sauver le monde, est-ce une religion, ou plutôt une secte ?
– toujours dans le genre visionnaire comme une taupe, le Figaro titre « L’image de la publicité s’améliore ». Tout va bien ! L’exercice de propagande est remarquablement bien mené : seuls les chiffres positifs sont relayés, et ceux qui le sont moins sont traités de telle sorte qu’ils le paraissent tout de même.
– entre le biais idéologique et soupçon de lucidité, le titre de Challenges : « Les Français se réconcilient (un peu) avec la publicité ». Le contenu est plus Figaro-like. Enfin, pour prendre comme illustration de la pub que l’on aime les chars hideux Cochonou de la caravane du Tour de France, il ne faut douter de rien.
– au milieu du gué, les économistes atterrants des Echos sont paumés : « les Français à la fois moins critiques et plus distants vis-à-vis du discours des marques ». Moins critiques mais plus distants ? Au moins leur saura-t-on gré de conclure : « les marques ont encore du pain sur la planche ». Voilà, on y arrive.
– si Docnews enchaîne dans l’aveuglement avec son « et si les Français aimaient de nouveau la pub », l’édito dans la publication cousine Influencia est bien différent, et pose pour le coup en peu de mots les questions essentielles : « Serait-on au pays de Bisounours, ou chez MéthodeCouéLand? » « Amour sans confiance: dans la vraie vie, ça ne peut jamais durer longtemps. Dans le marketing non plus. Les marques vont-elles ne rien faire et encore -et toujours- attendre que le pourcentage passe à 100% ? »
– le meilleur titre est à mettre au crédit du site e-marketing.fr : « Le marketing fait comme si rien n’avait changé ! ». Hélas le contenu de l’article ne va pas bien loin.
La question qui pique
Restons sur cette supposition hasardeuse, en laquelle semblent croire les plus publivores : les choses iraient mieux, les Français aimeraient un peu plus la pub. On ne peut pas ne pas (se) poser la question : comment est-ce que cela se fait ? À quoi attribuer ce changement ?
Deux possibilités. Soit c’est la pub qui a changé en 2012, soit c’est la société. J’ai beau me creuser la tête, je ne vois pas d’évolution entre la pub de 2011 et celle de 2012. Les messages sont les mêmes, la créativité toujours absente, la façon de diffuser identique (du matraquage, de l’ultra-occupation des médias, peu de dialogue), les abus toujours aussi répandus. Dans la pub, RIEN de significatif n’a changé.
Reste donc la cause externe à cette « amélioration ». La première partie de l’étude évoque une brèche dans le pessimisme des Français – 9% de différence par rapport à 2011 – et dans le pessimisme dans la situation économique – 6% de différence. Un tel mouvement était encore plus marqué en 2007, élection d’un nouveau président oblige. N’est-ce pas tout simplement là qu’il faut voir l’explication du soi-disant « retour en grâce » ? N’importe quel autre domaine similaire aurait également suivi le même mouvement. Je ne vois pas autre chose que des explications purement conjoncturelles, d’autant que les « publiphiles » (qui attribuent une note supérieure ou égale à 7) ne sont pas plus nombreux, il y a juste un petit pourcentage des « publiphobes »(note de 0 à 3) qui ne détestent plus autant la pub : impossible de conclure à une meilleure adhésion. Juste moins d’antipathie, et ce n’est pas la même chose.
En tout cas, il n’y a certainement pas matière à se réjouir de ces chiffres, même un petit peu, même quelques secondes. La pub n’a rien fait pour mériter cela. Un peu de lucidité, SVP ! Pas de jugement positif ou négatif, pour enfoncer ou adoucir, regardons juste les résultats droit dans les yeux.
Image des grandes marques de produits : 5,8/10
Image de la publicité en général : 4,3/10
La publicité est jugée utile et agréable pour 18%, utile mais pas agréable pour 37%, agréable mais pas utile pour 18%, inutile et désagréable pour 27%
Elle est :
– distrayante pour 51%
– convaincante pour 48%
– envahissante pour 76% (!)
– agressive pour 54%
– dangereuse pour 50%
85% pensent que la quantité de publicité dans son ensemble a augmenté
81% estiment qu’il y a trop de publicité
Les accros de la conso ne sont plus que 9%.
J’arrête là, tous les résultats sont à prendre en compte, les bons et les mauvais. Le bilan aussi objectif que l’on peut en tirer est que l’acceptation et l’adhésion à la publicité sont mauvaises. C’est globalement un constat d’échec.
C’est catastrophique, mais ne changeons rien
Le titre de cet article est un brin provocateur, soit. Mais c’est bien l’impression qui se dégage de toutes les réactions béates à l’étude. Les chiffres sont mauvais, et ils le sont depuis longtemps. Mais pour autant, rien ne change. Les préconisations de Vincent Leclabart sont risibles : « Les Français ont le sentiment qu’on leur fait du marketing de papa. Ils nous disent : « changer votre façon de faire, ne nous parlez pas comme à des enfants, arrêtez de nous raconter des salades ». Bref ils sont plus mûrs et veulent que les annonceurs en tirent les conséquences en acceptant d’arrêter les niaiseries bien-pensantes » (dans l’article de Challenges). D’abord, pourquoi Australie n’arrête pas de raconter des salades dans ses campagnes ? Et puis on le voit venir de loin, avec sa dénonciation des « niaiseries bien-pensantes » ! Cela veut dire plus de matraquage, plus d’idéologie consumériste et individualiste, un contenu et une forme toujours plus extrêmes. Soit exactement ce qui se passe depuis quelques années. On en rajoute couche après couche, aucune amélioration ne se produit et les messages sont toujours aussi peu efficaces, alors on va encore plus loin, et le problème empire encore.
Sur le fond, la pub n’évolue pas. Elle traite le web comme un support de plus à aller coloniser, où exporter les mêmes méthodes, alors que c’est l’occasion de se livrer réellement au dialogue. Elle traite l’urgence environnementale comme un sujet de plus, une mode, alors que c’est un changement profond et inéluctable. La pub fonctionne encore sur des méthodes qui commencent à dater – les années 60, maxi. Pourquoi s’y accrocher ?
Depuis quelques années, les partisans de la communication responsable font des propositions à la fois structurelles et opérationnelles pour restaurer la confiance dans les marques et dans la communication. Plus de transparence, accepter d’être enfin contrôlés pour améliorer la qualité de notre travail, amener des preuves à nos messages, etc. Moins de pub, mieux de pub, plus de dialogue. Ainsi nous proposons. Nous réfléchissons. Nous bougeons. Nous essayons de trouver des solutions, des vraies… pour qu’une prochaine livraison de Publicité et Société soit l’objet d’une joie justifiée.
Crédit photo : istolethetv, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.
Mais c quand meme mieux, non? Les titres ne sont pas si exagérés que ça…
Question : quand une situation extrêmement mauvaise est en très légère amélioration (due à des facteurs conjoncturels, qui plus est), doit-on ne parler que de l’amélioration ?
C’est exactement cette présentation qui en est faite. Vincent Leclabart parle de la pub comme « mal nécessaire » !!! J’aimerais qu’on puisse ne pas la considérer comme un mal. J’aimerais.
Est-ce que cela répond à la question ?
Ouais ouais, merci. C clair.
De rien 🙂
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