Communication du changement ou communication du non-changement ?

shutterstock_198629273_smallLe 26 mai dernier, j’intervenais dans le cadre de la Change communication conference (alias 3C), dans le majestueux amphi de l’IAE de Toulouse. J’avais choisi d’alerter notamment les étudiants qui planchaient sur la communication du changement, à propos de l’existence d’un modèle de communication… qui empêche justement tout changement.

Pour ce faire, j’ai développé le concept de « représentations induites ». Qu’est-ce que c’est que cela ? Tout simplement le fait que par la communication, on ne vous vend pas que des produits ou des services, on ne promeut pas que des structures. On promeut aussi un modèle de société. On transmet certaines valeurs.

Illustration avec la manifestation la plus visible de ces représentations : la pub TV. Une pub TV, c’est efficace ! Sur les courbes d’audience et sur les courbes des ventes, l’effet est mécanique. Cela fait vendre. Mais regardez ce que cela vend aussi. Prenons quelques pubs actuelles, et examinons non pas leur façon de vendre le produit, mais le modèle de société qu’elles véhiculent :

• [Toyota Auris Hybride « vous allez aimer conduire à nouveau »]

Les personnages sont répartis en deux catégories : les gros losers qui n’ont pas la bonne bagnole (regardez comme ils sont tristes, comme ils sont moches, comme ils n’ont rien compris à la vie), et le winner, qui lui a su faire le bon choix (et par conséquence, lui est beau, plein de confiance, il peut rouler la vitre ouverte, et logiquement les bouchons se résorbent juste pour lui). Représentation induite : achetez la bagnole, vous aurez le sourire, vous serez le plus heureux ! C’est une certaine vision du bonheur.

• [Extrême 3 Wilkinson]

L’histoire est amusante, fraîche, mais que cherche à faire ce jeune homme ? Représentation induite : pour avoir un taf, il faut ressembler à ses futurs patrons. Vision bien particulière de la vie professionnelle… qui, même si elle est rapidement abordée, passe comme une lettre à la poste.

• [Allianz avec Inès de la Fressange]

Quelle légitimité a donc Inès de la Fressange pour nous conseiller une assurance ? Aux dernières nouvelles, c’est une experte en mode. Elle est entrepreneuse, certes, mais n’est pas particulièrement reconnue pour sa grande connaissance des assurances. Représentation induite : la star a toujours raison. Si c’est une star (et même ici oserai-je dire une « pipole ») qui le dit, c’est forcément vrai. Au passage, quelques autres représentations induites : représentation de la famille idéale (papa-maman-un fils-une fille), des comportements acceptables, de la place de l’homme et de la femme.

• [Head and shoulders pour femme]

Image de la femme, image de la séduction grâce au produit, image du succès… Tellement caricaturale ici. Femme-objet, je te présente homme-objet. (Admirez le regard prédateur sur la capture d’écran choisie par YouTube… il dit tout.)

• [Mixa avec Sonia Rolland]

Toujours au rayon « image de la femme » : c’est ça, le standard de minceur ? Ah, quel bonheur quand ce collant vous aura rendue mince comme par magie… Avec une image extrêmement forte, celle de la femme qui arrive à rentrer dans un gabarit creusé dans un mur. Violent.

• [Vahiné]

Vahiné nous offre ici une superbe vision de la famille d’antan. Femme, tu feras la bouffe. Enfants, vous mangerez ce qu’on vous donne sans poser de questions.

• [4G SFR]

Tout est dans le slogan. « Ce qui est smart, c’est de profiter tout le temps ». Message anti-développement durable, anti-solidarité, anti-réflexion… mais tellement puissant. Non, ce n’est pas du tout intelligent de profiter tout le temps !

• [Coca-Cola]

Selon Coca, il faut tout voir plus grand. Mais en vertu de quoi 100 km/h serait-il mieux que 10 km/h ? Un festival de 1000 personnes qu’une fête de 100 personnes ? 10 prétendants plutôt qu’un ? Quand on enchaîne la pub SFR et celle-ci, le modèle de société est clair : ne pas se poser de question et consommer toujours plus.

• [FFR Les valeurs du rugby]

Subtilité et variante trompeuse des représentations induites… À première vue, il est très louable d’être gentil avec la dame… valeurs de solidarité, partage, convivialité, engagement… Sauf que le rugby pro actuel, celui que cette pub accompagne, est beaucoup plus concerné par le pognon et la victoire à tout prix que par ces fameuses valeurs du rugby. Les représentations induites doivent donc être aussi et surtout sincères.

Ce dernier point me permet de noter que la pub ne doit pas être considérée isolément, mais dans un contexte où bien d’autres facteurs entre en ligne de compte. Elle n’est jamais seule en cause.

Puissance et cohérence d’un modèle

Toujours est-il qu’au final, ce sont ces pubs qui sont vues par des millions de Français, et pas des autres. Regardez les pubs sous cet angle, vous verrez la cohérence des valeurs, presque toujours les mêmes. Si une seule campagne parvient à orienter massivement le comportement des Français au point de leur faire acheter un produit (et c’est le cas !), comment ne pas conclure que le modèle de société promu par la pub, de manière extrêmement constante, à longueur de journée, d’année, depuis des années, parvient également à orienter massivement le comportement des Français ?

Et donc, comment voulez-vous que le moindre changement significatif ait lieu, si ce sont ces valeurs-là qui sont assénées à longueur de temps ? Elles visent à produire du consommateur passif et docile ! Tant que les représentations induites par ces pubs seront les mêmes, on ne pourra peut-être bouger qu’à la marge. Pour pouvoir parler réellement de communication du changement, ne faudrait-il pas commencer par changer la communication du non-changement ?

Que changer ? C’est une vraie question !

Le nœud du problème, le véritable enjeu du changement, c’est le système de valeurs. Ce à quoi, littéralement, nous donnons de la valeur. Il nous faut passer de l’avoir à l’être, de la société de l’abondance à la société de la rareté (parce que l’anormalité, ce sont les rayons remplis à ras bord à longueur d’année), de la valorisation du luxe à la valorisation de la simplicité, du recevoir au faire (notre responsabilité collective et individuelle ! Le colibri qui fait sa petite part), de l’individualisme aux projets communs, du superficiel au profond, de la popularité à l’utilité. C’est cela que nous devons changer pour que la société puisse évoluer, et qu’elle ne reste pas majoritairement bloquée comme elle l’est depuis des années, malgré les prises de conscience et déclarations d’intention.

La chose n’est pas aisée. Rien ne dit que nous y arriverons. Deux hypothèses :
• soit on se sert de la publicité telle qu’elle est pour faire passer ces « autres » valeurs ; dans ce cas, il faut trouver un intérêt pour les acteurs existants à évoluer. C’est ce qu’essaie de faire par exemple la régie Planète Verte. Mais aussi, et c’est la thèse que je défends dans un excellent livre paru récemment (et que vous trouverez dans toutes les bonnes boucheries-charcuteries), c’est en redonnant aux choses leur vraie dimension que le changement sera possible. Aussi en réduisant la part de manipulation inhérente à la communication, en acceptant de dialoguer, d’être contredit, en ne cachant pas ses faiblesses. En arrêtant de raconter des salades et de promettre la lune. En redonnant aux mots leur sens, et en étant plus proche des réalités.
• soit cela passe par l’abandon de la publicité dans sa forme actuelle. On s’y dirige peu à peu… l’audience des médias est de plus en plus morcelée, et les grands annonceurs sont de plus en plus conscients du besoin de trouver des moyens de promotion à la fois moins coûteux et plus efficaces. L’inconvénient des médias de masse, c’est qu’ils ne permettent aucun dialogue, et qu’il y a une très forte déperdition. Je paie pour 2 millions de clients potentiels, mais aussi pour 50 millions de personnes qui ne seront jamais mes clients. C’est de la chasse au moustique avec un bazooka. Ne peut-on pas trouver mieux, y compris sur un plan strictement business ?

Pour élargir un peu la problématique, notons que ce que j’essaie d’exposer ici avec la publicité est tout aussi vrai pour les relations presse, pour les événementiels, la communication interne, le lobbying, la communication de crise, etc. Quand vous communiquez, vous faites passer des valeurs. Quelles sont ces valeurs ? Quel modèle de société voulez-vous promouvoir ? Au nom de quoi vous battez-vous ? Peut-être plus que le thème abordé ou le canal choisi, les valeurs induites ne sont-elles pas les vecteurs de changement – ou de non changement – les plus puissants ?

Crédit photo : homme obèse affalé sur canapé via Shutterstock.

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2 comments to “Communication du changement ou communication du non-changement ?”
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