La communication responsable est née de la volonté et du besoin d’adapter la communication aux grandes évolutions économiques et sociétales. On ne fait pas le monde de 2010 avec la communication de 1980. Pour proposer et mettre en place une communication en phase avec son époque, il est donc indispensable d’avoir une vision précise des grandes évolutions. Tentons d’y voir plus clair.
D’abord, un constat : nous ne sommes pas en crise. Ce vocabulaire de la crise est employé depuis 1973 ; si c’était bien une crise, nous en serions sortis. Et si c’était plutôt une transition d’une société à une autre, voire d’une humanité à une autre ?
Ce constat et cette thèse, ce sont ceux que Pierre Giorgini, président-recteur de l’Université catholique de Lille, présente dans un ouvrage de 2014 intitulé « La transition fulgurante » (ceci n’est pas un lien sponsorisé !), paru chez Bayard. « La transition fulgurante » fait partie de ces rares livres qui changent durablement la perception du monde. Il ne s’agit pas de prospective, de ce qui pourrait se produire, mais de ce qui a déjà commencé à se produire.
Pierre Giorgini détaille les 3 principaux actants de cette transition fulgurante :
• une révolution techno-scientifique ;
• un nouveau paradigme des modes de coopération ;
• enfin, une transition vers une économie plus créative.
La révolution techno-scientifique
Cette révolution est la plus évidente… mais en mettant ses éléments constituants bout à bout, on se rend bien compte de son importance. Pour en évoquer les principaux points :
• l’hyperpuissance de calcul informatique : celle qui permet de faire plus et plus vite, et qui est en train de dépasser les capacités du cerveau humain ;
• l’homme augmenté : des Google glasses à l’homme connecté, en passant par les interfaces entre le système nerveux et la machine, sans oublier le séquençage du génome humain qui sert de base aux projets santé de Google, qui visent un homme vivant jusqu’à 1 000 ans, c’est bien un nouvel homme qui est en train de naître – ce qui n’est pas sans poser une ou deux questions importantes ;
• si l’homme se rapproche de la machine, la machine se rapproche aussi de l’homme : drones, véhicules autonomes, agents intelligents et autres avatars laissent présager une autre organisation de la société ;
• l’impression 3D qui révolutionne le monde de la production, de la santé au bâtiment, en passant par les œuvres d’art et la réparation d’objets ;
• les nanosciences qui peuvent prendre la forme de tissus intelligents comme de nouveaux carburants.
Le nouveau paradigme des modes de coopération
Nous sommes en train de passer d’un mode pyramidal (celui du management traditionnel, top down) à un mode réseau, selon le modèle d’Internet (qui est un réseau acentré, sans centre). Pierre Giorgini appelle cela le « mode coopératif maillé ». Cela ne se fait pas en un jour… Quelques illustrations de l’émergence de ce nouveau mode de fonctionnement :
• la 3ème révolution industrielle de Jeremy Rifkin, mise en pratique notamment en Nord-Pas-de-Calais-Picardie ;
• la révolution de la finance : bitcoin, financement participatif, monnaies locales en sont différentes variantes ;
• la conception de produits et services commence à se faire de façon plus décentralisée. Exemple extrême : la Fiat Mio, conçue en 2010 au Brésil par 17 000 co-auteurs.
La transition vers une économie plus créative
Enfin, ce troisième aspect se matérialise par un déplacement de la valeur que les femmes et les hommes peuvent apporter aux organisations. La transition est la suivante :
Force/habileté
⇓
ingéniosité/intelligence
⇓
créativité/innovation
La technique est de moins en moins cruciale, les compétences peuvent et doivent s’acquérir au fur et à mesure. Ce sont les qualités humaines qui importent de plus en plus : adaptabilité, capacité d’initiative, autonomie, résolution de problèmes complexes.
Et ce qui rend la transition fulgurante, c’est que ces 3 actants se combinent entre eux, pour donner des innovations qui, au sens le plus littéral de l’expression, changent la vie.
Suite, suite, suite et suite
L’ouvrage ne s’arrête pas là, et c’est un autre de ses grands mérites : il laisse la place à plusieurs contrepoints et compléments. Ce n’est pas non plus uniquement une vision technocentrée, mais bien une occasion de questionnements éthiques, sociaux, religieux, où l’homme est au centre. Première suite.
Deuxième suite à l’essai, Pierre Giorgini vient de sortir « La fulgurante recréation », toujours chez Bayard (et ce n’est toujours pas un lien sponsorisé). Autant le premier volume était orienté autour des constats, autant celui-ci est résolument tourné vers les solutions.
Des solutions qui, pour faire court, explorent de nombreuses pistes visant à réinventer le vivre ensemble. Le constat, très juste, est qu’il y a une fracture de plus en plus marquée entre l’upperground, qui désigne toutes les institutions d’hier (l’école, le gouvernement, l’Église, l’entreprise, etc.) et l’underground, la société de demain qui prend forme, qui s’autonomise. Pour refaire société, nous avons besoin de middlegrounds, ces espaces (au sens large du terme, un site web étant aussi un lieu) qui redonnent une place à tous, du sens pour tous, et grâce auxquels la transition d’hier à demain soit la plus harmonieuse possible. Le propos n’est pas naïf. Et il n’est pas non plus exempt de doute, ce qui lui donne tout son intérêt.
Et tout du long, cette expression qui revient : « chacun porteur d’une part d’universel ». Vivement la suite de « La fulgurante recréation » – oui, car il y aura encore une suite.
Coda
Le mouvement actuel de la « nuit debout » vient donner exactement l’illustration de cette réinvention, avec toutes ses tensions, et son besoin à la fois d’horizontalité radicale et de garde-fous intangibles. J’ai souri en lisant que cette nuit (du 34 mars) quelqu’un avait déclaré : « Je propose un mot pour décrire ce que l’on fait, on pourrait parler de parler de ’re-création’ ». Du Giorgini dans le texte !
L’aperçu que vous venez de lire, ce sont mes mots. Ceux de Pierre Giorgini sont cent fois plus ordonnés et cohérents. Encore mieux, vous pouvez, si vous en avez l’occasion, aller le voir en conférence. J’en ai eu l’occasion à deux reprises, une fois après le premier livre, une après le deuxième. On n’en ressort pas indemne, tant la profondeur de ses propos peut donner le vertige… mais on en ressort également plus humain. Humain et plein d’appétit, impatient de participer à réinventer le monde, impatient de faire sa part.
Crédit photo : un cyborg se la joue introspection shakespearienne, un crâne à la main, via Shutterstock.
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