L’auto-régulation publicitaire a ses marronniers. Depuis 2007, la publication du bilan annuel de l’utilisation de l’argument environnemental par la publicité, dont vous pouvez lire la dernière production sur le site de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, en est un.
Principal chiffre à retenir, repris partout : seulement 11% de manquements. En ayant ras la casquette de voir ce chiffre cité comme incontestable, je ne vais pas y aller avec le dos de la cuiller à pâté : cette étude est un foutage de gueule en règle, comme les éditions précédentes. Affirmation sans doute un peu raide, que je vais m’efforcer d’argumenter.
Gros chiffres, petite impression
Très exactement 23 943 pubs ont été prises en compte dans ce bilan (cf. p. 1). Chiffre impressionnant tant que l’on ne s’est pas renseigné, beaucoup moins quand l’on dispose de bases de comparaison. 23 943, c’est très peu par rapport à la totalité des publicités. Pour donner un premier ordre d’idée, l’ARPP délivre à ses membres plus de 36 000 avis par an (36 490 selon le rapport d’activité 2010), et ce quasi-exclusivement sur des grosses campagnes.
23 493 publicités, c’est surtout très peu par rapport aux médias pris en compte. Le pot aux roses est dévoilé page 5. La restriction à 13 secteurs économiques ne me choque pas, la quasi-totalité des greenwashers y figurent. Par contre, je vous livre les deux passages clés :
« Le périmètre de l’étude 2011 est inchangé, comme en 2010 la période visée reste le premier semestre. »
« Les médias contrôlés sont, cette années encore, les bannières internet (display), la presse (à l’exception de la presse régionale et professionnelle). La télévision n’a pas été prise en compte, comme l’année dernière, parce que le contrôle de tous les films se fait avant la diffusion. »
Tilt ?
Les coupables sont dans la nature
Où sont donc passées les pubs qui ont donc échappé à cette étude ? Je vous le donne en mille : dans les médias les plus visibles, que l’ARPP ne prend toujours pas en compte. Le cinéma, l’affichage et la publicité extérieure en général, le packaging, les sites web des entreprises, les vidéos sur le web ? Pas comptabilisés. Et surtout, n’est pas non plus comptabilisée la télé, média certes en perte de vitesse, mais toujours le plus puissant, et saturé de greenwashing. Et on ne parle que des cas des 6 premiers mois de 2011 ! 23 493, c’est encore beaucoup ? Cette étude devrait en fait s’intituler « Utilisation de l’argument environnemental dans la publicité sur internet et les insertions presse, sur les six premiers mois de 2011 ». Quoi, moins vendeur ?
L’argument cité pour ne pas inclure la pub TV est qu’elles sont toutes contrôlées a priori par l’ARPP. Mais l’ARPP fait-elle bien son travail ? Des exemples flagrants de greenwashing continuent d’exister. Lesquels ? Rendez-vous sur le site qui en recense une partie, et seulement une partie : l’Observatoire indépendant de la publicité.
On peut d’ores et déjà conclure que sans les médias les plus visibles, les 11% de manquements ne correspondent à rien. Les résultats sont faussés. Qui plus est, le principal problème du greenwashing ne réside pas dans le nombre de cas, mais dans leur visibilité.
Et si on changeait ?
Une métrique plus pertinente n’est pas bien difficile à imaginer. Elle consisterait à pondérer les manquements par rapport à leur visibilité. Calcul simple : ((manquement a x audience de la campagne) + (manquement b x audience) + …) / audience totale cumulée des campagnes (en ODV), tous médias confondus. C’est loin d’être impossible à faire. Mais bien évidemment, le chiffre obtenu serait tellement effrayant qu’il n’a aucune chance de voir le jour.
Je pourrais aussi attirer votre attention sur l’influence de plus en plus réduite des ONG dans le système, avec la FNH qui est visiblement maintenant composée de membres de l’ARPP, et le représentant de France nature environnement qui s’est récemment fait éjecter du Jury de déontologie publicitaire (mais il paraît qu’il ne faut pas en parler). Je pourrais évoquer le rôle malheureux de caution joué par l’ADEME dans ce panier de crabes, et l’élaboration assez conflictuelle de l’étude, malgré la façade apparemment lisse. Je pourrais détailler la partialité du classement entre manquements et réserves. Je pourrais ergoter sur l’évolution du greenwashing. Je pourrais, mais à quoi bon ?
Un seul message à marteler : cette étude est malhonnête et trompeuse, elle ne prend pas en compte les principaux médias, et ne concerne pas tout 2011. Ce serait une bonne idée de ne pas l’utiliser pour déduire que le greenwashing est en baisse.
Crédit photo : Timelezz Photography, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.
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Hello! Je commence alors! Mais je n’ai pas grand chose à ajouter, étant d’accord avec toi.
Une petite question:
Ta proposition de pondérer les manquements selon la visibilité a-t-elle été évoquée durant le débat de lundi? Et après? Une fois qu’on a obtenu le joli chiffre?
Eh bien voilà la première courageuse 😉 (pas de surprise pour moi, et c’est un compliment)
Expliquons ce qui s’est passé lundi : c’était l’AG de l’Association pour une communication plus responsable, dont je suis membre. AG le matin, débat l’après-midi, autour des excellentes propositions de l’association pour changer les pratiques de notre profession.
Pour répondre à ta question, cette proposition vient de mes petits neurones. Rien de bien compliqué à imaginer (réflexe d’entrepreneur)… Petite précision, l’audience totale cumulée des campagnes, dans la formule, concerne évidemment les ODV de toutes les campagnes ayant utilisé l’argument environnemental. Ce me paraissait évident, apparemment ce ne l’était pas pour tous.
Une fois qu’on aura ce chiffre ? On sera loin des soi-disant 11% de manquements. Je ne serais pas surpris qu’on soit très largement au-dessus des 50%. Impossible alors de ne pas prendre des mesures réellement efficaces !