Halte au durable !

2412320438_347cefaeecLe durable est partout. Avec « responsable », cet adjectif est devenu l’un des plus employés. Et ça me gonfle prodigieusement. Amis écolos, pas taper ! Non, je ne renie pas en bloc le développement durable. Par contre, l’utilisation du mot « durable » accolé à tout et n’importe quoi arrive à des non-sens révélateurs d’un effet d’aubaine, d’un travestissement du concept originel, et d’un profond manque de maîtrise de la langue française.

Alors, le durable, s’il vous plaît, stop. Overdose durable. Voici un tout petit florilège des usages les plus loufoques du mot à la mode du moment, volontairement limité à la seconde moitié du mois de septembre 2009 :

« les événementiels durables » : combien de jours ???
– Pub magazine dans Terra eco, octobre 2009, pour le Grenelle de l’environnement : « un modèle de développement plus durable ». Un développement qui dure plus longtemps que quoi ?
« Initiative pour l’énergie durable et le changement climatique » : ah, le mythe de l’énergie maîtrisée et constamment renouvelée…
« ces acteurs du terroir qui luttent pour un monde plus durable ». Spéciale dédicace à tous ceux qui croient (encore) que la Terre est éternelle !!!
« Un fer de lance de l’agriculture durable » : vu l’évolution de l’agriculture mondiale depuis l’après-guerre, on peut se poser des questions sur sa capacité à durer.
« Eco féminin, le shopping durable à prix malin ». Pour moi, le shopping est durable jusqu’au coup de fil de mon banquier…
– Découvrez la chronique « Consommons durable ». De lapin ?
« assurer notre avenir par la consommation durable » (G20 de Pittsburgh, 2009). Euh, en fait, messieurs les sauveurs du monde, continuer à consommer autant n’assurera pas notre avenir, ce serait même plutôt le contraire.
« une croissance forte, durable et équilibrée » (par les mêmes, rien à ajouter)
« Actu écotourisme et loisirs durables ». Moi aussi, toute ma vie, je veux m’amuser.
LaRevueDurable, avec toutes ses majuscules. Qu’elle dure, c’est tout ce qu’on peut lui souhaiter (mais ce n’est pas gagné).
– Le site quotidien durable : durable oui, mais un jour à la fois.
– Un de mes préférés : le site « Avenir durable ». Oui, ils ont osé. C’est toujours mieux que « Présent actuel » ou « Passé éternel »…
« Walmart et ses ambitions durables ». Ambition d’entreprise contre utilisation raisonnée des ressources, le grand match ! (Pour l’instant, l’entreprise mène largement)
Salon européen du bois et de l’habitat durable : mais enfin, pour l’habitat durable, rien de mieux que des bons vieux parpaings !?
– Titre du magazine Stratégies : « le durable s’installe pour longtemps ». Bien vu la tortue.
« Lipton Yellow, le thé durable ? » Grosse faute culinaire. Le thé trop infusé, c’est imbuvable.
L’Europe fête la mobilité durable. Le premier qui arrête de bouger a perdu.
Où il est question de construction durable. Eh oui, un abri dans la jungle de Calais, ce n’est pas une construction durable.

Vous avez saisi le principe, essayons de faire un peu plus attention au sens des mots. Mais alors, LE durable, ce serait juste un problème de raccourcis linguistiques trop faciles ? Pas seulement. L’utilisation du durable à toutes les sauces est révélateur d’une compréhension à moitié du concept de développement durable : le seul terme sur lequel porte la réflexion est « durable ». Or, le développement durable est avant tout un mode de développement, à l’échelle d’une société, d’un continent, d’une planète. Autrement dit, certains produits ou services sont sans nul doute durables, mais ils ne sont pas moins représentatifs d’une conception expansionniste et matérialiste de la société occidentale. Le système actuel a pris des mots porteurs de sens, les a tripatouillés, intégrés, récupérés, revisités, jusqu’à ce qu’ils ne veuillent plus rien dire.

Au-delà, on peut se poser des questions sur la légitimité des entreprises ou des individus à parler de développement durable. Dans une autre vie, j’ai le souvenir d’avoir entendu un chef d’entreprise parler à ses salariés du « développement durable de l’entreprise ». Belle appropriation du concept. L’entreprise ou l’individu peuvent participer à leur petit niveau à changer les choses, mais le problème est avant tout politique. Et souvenons-nous aussi que l’expression « développement durable » est une mauvaise traduction de l’anglais « sustainable development », pour développement tenable, viable. La langue est bien malmenée par le durable. Sur ce, excusez-moi, un repas durable m’attend, où nous parlerons de travail durable, pour un avenir durable.

Crédit photo : zappowbang, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.

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8 comments to “Halte au durable !”
  1. C’est paradoxal oui, il faut bien en parler, surtout en amont pendant le processus de création des messages de communication. En même temps, la redondance des messages de communication ressemble à une berceuse pleine de bons sentiments qui endort. Si les messages ne sont pas percutants, c’est qu’il n’y a pas eu suffisamment de réflexion à la base, donc qu’on en a pas assez parlé. Retour au point de départ 🙂

    • Argh, il y a de quoi devenir fou ! 😉

      Bon, pas de souci, il y a une issue toute simple (pour peu que l’on ait un engagement authentique). Ça se joue en deux temps : cohérence et information. Cohérence dans la conception – si je n’ai pas les données pour étayer fermement ce que je veux mettre en avant, il ne faut pas en parler ; puis information – donner accès aux données permettant aux cibles du message de vérifier que ce n’est pas du vent.

      On ajoute une pincée de maîtrise de la langue et des concepts utilisés, et le plat ainsi obtenu devrait avoir un goût satisfaisant ! 🙂

    • C’est ça, le problème ! On ne sait pas à partir de quelle durée on peut parler de durable… Là, pour un bon moment, allez, c’est durable.

      Ce matin, un rapport de l’ONU vient d’être publié. Titre du rapport : « planifier des villes durables ». Et un nouvel exemple, un ! ^^

      • En bonus pour le bêtisier, je viens de voir qu’une entreprise venait de se lancer. Son nom : « Concierge durable ». Martine, 86 ans, dont 70 de métier. 🙂

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