Identité numérique des organisations : retour aux bases

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Ce texte a été publié dans la seconde édition du livre blanc TIC chti, paru aujourd’hui même, qui réunit des experts nordistes du web autour d’une thématique : l’identité numérique. Je précise que son public est plutôt les PME et les accros aux nouvelles technologies.

Comme le reste de ce site, ce texte est disponible sous licence Creative Commons by-sa (vous pouvez reprendre l’article, le modifier, le vendre, mais vous devez m’en attribuer la paternité).

Depuis quelques années, que ce soit pour intervenir sur la création ou la refonte de leur site web, ou en tant que simple visiteur, de (trop) nombreuses entreprises ou associations nordistes m’ont surpris par leur méconnaissance des problématiques liées à leur identité numérique. L’impression d’amateurisme qu’ils m’ont laissée ne s’est pas encore dissoute de ma rétine. Typiquement, leur approche du sujet peut se résumer ainsi :
« Alors, tu vois, on a vraiment besoin de refaire notre site web, l’actuel n’est pas assez dynamique. On a créé un groupe de réflexion sur Google Groups, et puis j’ai fait une maquette sur notre Orangeblog, en html, pour que l’on sache à quoi ça devait ressembler. Tu peux m’envoyer tes recommandations à notre adresse mail : notrepetiteentreprise@hotmail.fr. Le site remplacera l’actuel, à l’adresse suivante : http://notrepetiteentreprise.site.voila.fr. »

Pour beaucoup, l’incohérence et les dangers de cette approche, certes caricaturale, sont évidents. Mais visiblement, pas pour tous. Un retour sur les composants de base de l’identité numérique des organisations s’impose donc.

Petits caractères = grandes conséquences

Sur le web, la tentation est grande de ne prendre en compte que le caractère pratique des offres proposées. En 2009, il suffit de quelques clics sur une plate-forme spécialisée pour créer son propre site web. Pourquoi aller chercher ailleurs ? Pourtant, après ces quelques clics rapides, vous êtes liés à cet hébergeur de contenu par un contrat, dont vous avez tout intérêt à lire attentivement les termes. C’est comme pour le contrat de licence d’un logiciel : on ne le lit jamais, mais on devrait, car il s’y cache souvent des détails croustillants.

Un exemple extrême, mais réel : le comité local lillois de l’association altermondialiste Attac a un site web à l’adresse http://attaclille.over-blog.com/. Remarquons au passage qu’il existe également un ancien site (http://attaclille.blogspot.com/), ce qui ne facilite ni l’identification, ni le référencement, ni l’accès au contenu. Bref, le nouveau site est hébergé par la plate-forme de blogs Over-Blog (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Over-Blog). En bas de page figurent les conditions générales d’utilisation (http://attaclille.over-blog.com/reglement-blog.php : le nom de cette page annonce la couleur, il s’agit bien du règlement d’utilisation). On peut alors y lire les paragraphes suivants :

« Article 5.2 : Contenus litigieux :
* L’utilisateur s’engage à prendre connaissance avant toute publication des règles et limites relatives à la liberté d’expression. La liberté d’expression autorise la critique, le rapport d’informations vérifiées et prouvées, elle n’autorise pas le dénigrement et la diffamation. Tout dénigrement, diffamation, ou allégation d’informations inexactes ou volontairement tronquées pour en changer le sens peuvent entrainer des poursuites à l’encontre de leur auteur.
* Le contenu publié par l’utilisateur ne doit pas porter atteinte ou être contraire à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou pouvoir heurter la sensibilité des mineurs ; (…)
* Le contenu publié par l’utilisateur ne doit pas porter atteinte aux droits à la réputation, à la vie privée de tiers et à l’image ;
* Le contenu publié par l’utilisateur ne doit pas être, au strict sens de la loi, dénigrant ou diffamatoire.
* Le contenu publié par l’utilisateur ne doit pas porter atteinte à l’image, à la réputation d’une marque ou d’une quelconque personne physique ou morale ; la liberté d’expression autorise la critique dès lors qu’elle est objective, argumentée, et portant sur des faits réels.
* Le contenu publié par l’utilisateur ne doit pas porter atteinte à la sécurité ou à l’intégrité d’un État ou d’un territoire, quel qu’il soit (…). »

On ne peut qu’en arriver à cette conclusion surprenante mais logique : la plate-forme a parfaitement le droit, dès qu’elle le souhaite, de fermer ce site ou d’engager des poursuites à l’encontre d’Attac-Lille, parce qu’elle peut considérer que le contenu est en infraction à ces points de règlement. Plus fort : Over-Blog se réserve le droit d’insérer n’importe quelle publicité sur le site, sans aucun contrôle d’Attac-Lille. C’est ainsi que ce 9 août 2009, la page d’accueil est ornée d’une somptueuse publicité pour la « nouvelle Chevrolet Cruze, 13 990 € », totalement incompatible avec les valeurs d’Attac.

Et pour couronner le tout, Over-Blog est détenu pour partie par TF1. C’est même la plate-forme que TF1 choisit pour ses blogs. La section lilloise d’Attac a donc décidé pour être visible sur le web de s’en remettre à TF1, entreprise représentant tout ce à quoi Attac s’oppose. Il n’est nullement question d’attaquer Attac-Lille, mais de montrer tout ce qu’un hébergement pratique et facile à mettre en place peut entraîner comme conséquences sur l’identité numérique.

Alors, comment s’y prendre ?

Les pré-requis : nom de domaine, hébergement, serveur de mails

Avoir une présence sur le web, y véhiculer son image, peut être comparé à un projet immobilier : les fondations sont essentielles. Avant même de disserter sur le discours que l’on veut tenir, les questions techniques ou graphiques, il faut se pencher sur tout ce qui sera le premier contact du visiteur potentiel.

Cela commence par l’achat d’un nom de domaine (NDD) adapté et facilement mémorisable. Ainsi, vous serez non pas propriétaire, mais locataire d’un espace identifiable, qui ne correspondra qu’à vous sur la toile. Rebuté par la difficulté, effrayé par le coût ? Il suffit de vérifier la disponibilité du NDD choisi, et de commander. Un .fr coûte 12 € HT par an chez Gandi, le leader français.

Bien entendu, il est possible, et même recommandé, de réserver plusieurs NDD. La pratique courante pour les entreprises est de réserver les NDD connexes, et d’autres selon les opérations ponctuelles, permettant de mettre sur place des sites spécialisés ou événementiels.

Choisir son hébergeur, et non une formule tout-en-un, c’est aller vers l’indépendance. Les avantages sont nombreux : choix des logiciels, maîtrise de la publicité diffusée (ou non), confidentialité du contenu et liberté des propos (ce qui est mis en avant par exemple par la coopérative Ouvaton), possibilité d’adapter les services et le degré de sécurité, et enfin pérennité de votre présence sur le web. L’actualité récente, avec la décision d’Orange d’arrêter son service Orange Blogs, et donc de fermer des milliers de blogs, nous montre à quel point les services intégrés sont précaires.

Comme pour le nom de domaine, ce n’est absolument pas une question financière : il existe des hébergements gratuits (mais le plus souvent truffés de publicités ; pour les exceptions voir le réseau RHIEN) et des formules satisfaisantes pour quelques poignées d’euros par an. Bien sûr, l’affluence du site peut imposer de passer à un hébergement dédié, performant et cher, mais seuls les leaders du web sont dans ce cas…

Enfin, les adresses mail. Pourquoi une adresse du type mapetiteentreprise@hotmail.fr est-elle une erreur ? Parce qu’elle vous limite en nombre d’adresses possibles, et qu’elle donne l’impression que vous n’êtes présent sur le web que par le biais de votre hébergement ou d’une « boite à mails », mais pas en votre nom propre. C’est aussi un problème de confidentialité : êtes-vous sûrs à 100 % de garder le contrôle de vos adresses mail et de votre courrier ? On constate régulièrement des cas où des messages sont rendus publics ou détruits, avec des offres de ce type.

La solution ? Par l’hébergement ou le fournisseur de nom de domaine, vous aurez accès à un serveur de mails. Mieux sécurisé, moins sensible aux spams, plus configurable, donnant une cohérence dans vos adresses. Surtout, personne ne viendra vous imposer telle ou telle restriction d’utilisation. Mieux, il est aussi possible (et pas si complexe que cela) d’installer son propre serveur de mails.

Pour résumer, plutôt que de faire des recommandations précises et strictes, l’organisation qui souhaite avoir une identité numérique doit se poser les questions suivantes : à qui appartiennent mes données d’identification ? Quelles en sont les conditions d’utilisation ? Suis-je libre de mon contenu ? Suis-je à même de décider les termes de mon existence sur le web ?

Attention toutefois à faire la distinction entre les éléments de base de votre identité – ceux que nous avons détaillés, qu’il faut protéger avec soin, et votre contenu – dont il faut faciliter la dissémination… Ce n’est qu’après avoir réglé ces menus problèmes que l’on peut tourner son attention vers la concrétisation de la présence sur le web : technologie, contenu, design.

L’indissociable combat politique

La force du web vient de deux choses : il est décentralisé, et il est ouvert. Décentralisé, parce que chaque utilisateur final peut émettre du contenu, pas seulement en lire, comme c’était le cas du minitel. Ouvert, parce qu’il s’appuie sur des standards qui permettent aux productions d’être lues par tous. Voilà qui devrait permettre de redonner tout son sens au terme « communication », et qui devrait pouvoir être pleinement exploité par les organisations.

Seulement, ce n’est pas totalement le cas. Beaucoup – États, partis politiques, éditeurs de logiciels, multinationales – ont intérêt à faire du web un service centralisé (un minitel 2.0) et restreint à quelques logiciels propriétaires, afin d’en reprendre le contrôle. C’est un combat comparable à celui qui s’est mené lors de l’avènement de l’imprimerie. L’histoire a prouvé que quand on donnait des moyens de connaissance et d’expression au peuple, les bénéfices l’emportaient sur les errances. Si vous voulez que votre organisation profite vraiment du web, la nécessité de participer, ou du moins de s’intéresser au combat politique autour du web ne devrait pas faire de doute. C’est la condition pour que vous puissiez réellement choisir votre identité numérique.

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