« La communication responsable », chez AFNOR Éditions : normalisation de l’anormal ?

shutterstock_136183493Les livres sur la communication responsable sont rares. Alors, quand AFNOR Éditions y consacre un ouvrage de sa collection « 100 questions pour comprendre et agir », j’y jette forcément un œil attentif. À la lecture de ce « La communication responsable » d’Alain Labruffe, sous-titré « En phase avec la norme AFNOR NF ISO 26000:2010 » … comment dire ? Pari complètement raté.

Ce livre pose 3 problèmes. Par ordre d’importance :
1) il traite la question de la communication liée à la norme ISO 26 000 de manière extrêmement réductrice ;
2) il est juste nul ;
3) il trompe le lecteur sur son contenu.

1) La controverse de fond

Le propos du livre est de lier la communication à la norme ISO 26 000. Bonne idée, sauf que la communication ici évoquée est bien particulière. Non, il ne s’agit pas de la communication des organisations, qui est pourtant l’acception la plus fréquente de l’expression dans la littérature professionnelle parlant de communication. Il est plutôt question, et uniquement question, de communication interpersonnelle, ce qui n’est pas du tout la même chose.

L’impasse totale sur la communication des organisations est une erreur, et ce n’est pas parce que M. Labruffe décide que la communication des organisations est le mal absolu (préface et premières questions) qu’elle doit être ignorée ou qu’elle cesse d’être le point fondamental qu’elle est dans la norme ISO 26 000. La communication interpersonnelle fait partie de cette norme, c’est incontestable. Mais elle n’en est qu’une partie, et même une partie assez mineure par rapport à la communication des organisations. La norme ne peut être mise en place sans les moyens classiques de communication des organisations, et pose toujours la question de la légitimité et de la pertinence des messages, points qui sont quasiment passés sous silence dans l’ouvrage ici présent. Le contraste entre cet ouvrage et le guide d’application de l’ISO 26 000 pour le secteur de la communication, lui totalement consacré à la communication des organisations, et lui d’une grande qualité, est frappant.

Évidemment, ce livre est la vision de l’auteur, et je ne saurais contester son droit à faire connaître cette vision. Je me borne à contester la pertinence de cette interprétation et la réduction de la norme à ce qu’elle n’est pas.

2) La médiocrité

Problème plus gênant, le contenu est juste mauvais. Entre les bisounourseries sur les réalités des entreprises et sur le monde à laisser à nos enfants, les multiples tableaux le plus souvent inutiles et absurdes, les illustrations qui auraient dû rester dans un cahier de brouillon, l’étiquette terriblement réductrice et abondamment utilisée des VAMPIRES (pour Violents, Abuseurs, Manipulateurs, Prédateurs, Intrigants, Rabroueurs, Escrocs et Salauds), les questions complètement hors sujet, et le verbiage typique du pire du coaching (je m’arrête là, il y en a d’autres), l’ensemble est d’un niveau extrêmement bas.

Pour vous faire une idée, voici 2 extraits (veuillez excuser la qualité des scans) :

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Cette sélection est à la fois caricaturale pour les 2 pages de la question 62, probablement la pire du livre (du calcul mental ? Vraiment ?), et clémente pour les 4 pages de la question 59, une des meilleures.

3) L’entourloupe

Prenons la présentation de la quatrième de couverture :

« La communication est le moyen de notre relation à autrui. Si des recettes permettent de la réussir, elle présente aussi ses pièges.

Alain Labruffe, dans un nouveau tour de force, s’attache dans ce livre à nous expliquer les bases d’une communication responsable. Autour de 100 questions-réponses, il nous accompagne et nous donne conseils et outils pour se comporter en communicant responsable. Ainsi vous pourrez trouver des réponses aux questions suivantes :

  • Comment le management peut-il devenir exemplaire ?
  • Quelle communication instaurer pour les consommateurs ?
  • Comment développer la communication avec les parties prenantes ?
  • Quel lien entre communication et environnement ?

Mais aussi :

  • Quelles sont les clés d’une communication responsable ?
  • L’écoute active est-elle le premier outil de la communication ?
  • Pourquoi la communication rejoint un comportement responsable ?

Parce que communiquer responsable, c’est traduire en actes concrets les nouvelles attentes sociales et environnementales de la société : ce livre accompagnera les hommes et femmes soucieux de communiquer avec le souci d’un échange véritable. »

Cette présentation, ainsi que le titre et le sous-titre, peuvent facilement faire penser que le sujet abordé est la communication des organisations. Or ce n’est pas le cas.

Le livre aurait dû s’intituler « La communication interpersonnelle responsable ». Trois mentions du texte ci-dessus font allusion à la communication interpersonnelle, « dans la relation à autrui », « écoute active » et « échange véritable », mais elles sont d’une ambiguïté folle. On est à la limite de la pratique commerciale trompeuse. Peut-on prôner une communication responsable et induire les lecteurs potentiels en erreur sur le contenu ?

Responsable ?

Prenons un peu de hauteur pour poser la véritable question qui fâche : qui est le principal responsable de ce fiasco total ? L’auteur a sa part de responsabilité, mais essentiellement il n’y peut rien ; il vient avec sa vision et son vécu professionnel. On ne peut pas lui demander d’écrire autre chose que ce qui lui a été commandé. C’est AFNOR Éditions, par son choix d’auteur mais plus encore par sa validation du contenu, qui a (beaucoup, beaucoup) manqué de perspicacité.

La formule des « 100 questions » est également inadaptée : on n’a pas toujours 100 questions sur un sujet, et clairement l’auteur a bien raclé les fonds de tiroirs pour trouver 100 items. À moins de faire un ouvrage dépassant allégrement les 500 pages, on se retrouve forcément avec un contenu extrêmement superficiel.

Hélas, des livres de cette qualité, cet éditeur en a sorti plus d’un, et pas que dans cette collection. Et surtout, que ce n’est pas n’importe quel éditeur. N’est-il pas paradoxal que l’organisme officiel de la normalisation française, donc de la qualité, laisse publier en son nom une nullité pareille ?

Au final, ce qui est peut-être le plus dérangeant dans cette affaire, c’est que ce livre donne de la communication responsable l’image d’une sous-discipline ni professionnelle ni fixée dans son acception. Des étudiants ou des professionnels voulant découvrir ce sujet pourront tomber sur ce livre, distribué massivement, et partir dans des véritables impasses. La communication responsable méritait mieux.

Crédit photo : feu d’artifice, via Shutterstock.

2 comments to “« La communication responsable », chez AFNOR Éditions : normalisation de l’anormal ?”

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