Lucidité

shutterstock_362337320« Cultivez votre lucidité » : c’était, en guise de conclusion, ma recommandation aux étudiants de master 2 en communication de la Sorbonne, le 12 mai dernier. Recommandation qui mérite qu’on s’y attarde au moins le temps d’un article. Derrière une apparente simplicité, la lucidité se révèle être un sujet riche, non neutre, et finalement assez caractéristique de la communication. L’étiquette est parfois loin de la réalité.

La lucidité, c’est quoi ?

Étymologiquement, si j’en crois mon antique Gaffiot, « luciditas » est au sens propre la « clarté », et au sens figuré la « splendeur ». Le verbe transitif « lucidare », c’est « éclaircir ». « Lucidus », « clair, brillant, éclatant », mais aussi « plein de lumière, de pureté ».

Une définition acceptable de la lucidité est la « faculté de voir et de comprendre les choses avec clarté et justesse ». C’est donc un concept lié à la perception : chacun voit et comprend les choses différemment, selon les informations qu’il peut réunir. C’est aussi un concept relatif. Il y a des degrés dans la lucidité, comme il y a des degrés dans la transparence .

Précision importante : intelligence n’est pas lucidité. Les capacités intellectuelles n’ont pas grand-chose à voir avec la capacité à être lucide. Un bon niveau d’éducation n’est absolument pas une garantie de percevoir la réalité de façon claire. Loin de là. Il donne les outils pour le faire, il facilite la lucidité, mais pas plus. Combien de fois voit-on, surtout en communication, des gens extrêmement intelligents faire preuve d’une absence totale de lucidité ?

Mais quand on pousse la lucidité à l’extrême… on arrive à l’extra-lucidité. Personnellement, c’est moins mon trip ! Il faut aussi savoir où s’arrêter dans sa lucidité. Chercher des raisons et des motivations derrière les faits, mais ne pas partir dans des délires sur les causes cachées. La lucidité aime la mesure.

Comment être un(e) communicant(e) lucide ?

En communication, être lucide implique d’écouter. Voir les différentes facettes d’une réalité. Nuancer. Relativiser. Se faire une idée juste du contexte, savoir prendre de la distance avec ce qu’on est en train d’essayer de promouvoir. Chose éminemment compliquée à réaliser, puisque tout nous pousse au contraire à défendre notre cause.

Comment faire ? Je ne connais pas 36 000 solutions. Juste une, mais qui est très simple et qui fonctionne très bien : commencer chaque démarche de communication par savoir précisément de quoi on parle, et aller voir les différentes parties prenantes, qu’elles nous soient favorables ou pas. C’est le meilleur moyen pour rester proche de la réalité.

Concrètement, deux exemples pour mettre en lumière à quel point la lucidité est relative et sujette à interprétation. Premier exemple, cette campagne récente de Volkswagen, réalisée par DDB Paris, avec le slogan assez hallucinant « Votre voiture n’est pas près de disparaître » :

strats-image-1046478.jpegOù est la lucidité dans cette affirmation, alors même que la crise des moteurs truqués est loin d’avoir fini de faire tous ses dégâts ? Parier maintenant que la marque ne va pas disparaître, c’est une vision pour le moins optimiste, et une prise de risque importante. Est-ce lucide de croire que ce message va recréer de la confiance, et que les clients de VW ne vont pas douter encore plus ? Mais peut-être, après tout, que cette campagne vient d’une excellente connaissance des clients existants et potentiels, que l’annonceur et l’agence font preuve de lucidité, et espèrent influencer la perception par des messages répétés. Il me semble plutôt que, dans un contexte de défiance généralisée envers les entreprises, ce discours glissera et ne prendra pas.

Second exemple : la pétition contre les bâches publicitaires sur le Palais des Beaux-Arts de Lille, par l’association Résistance à l’agression publicitaire :

musee-pub-marque-floutee-stop-pubY a-t-il un manque de lucidité de ne pas avoir conscience que le sujet et/ou la méthode ne mobilisent pas (610 signatures au 17/09/16, ce qui très très peu) ? Ou alors, l’association n’a pas de certitude et fait une pétition pour vérifier sa capacité de mobilisation (la lucidité pourra alors venir après coup) ? Ou encore la lucidité est-elle là, mais l’association veut-elle intégrer cet outil dans un dispositif plus global, où l’on a besoin de la pétition, peu importe son succès ?

La lucidité ne suffit pas

Souvent, on a beau avoir pris conscience de la réalité de la situation, être parfaitement lucide, mais d’une part on peut avoir une analyse différente des faits, et d’autre part la lucidité peut ne pas suffire à passer à l’action. Parmi les paramètres à valider :

– capacité à faire bouger les choses ;
– volonté de faire bouger les choses ;
– freins personnels levés : on peut facilement avoir conscience de la réalité sans se donner la permission de l’exprimer, souvent quand elle ne cadre pas avec nos convictions ;
– ne pas attendre que plus de faits viennent confirmer la perception ;
– ne pas avoir de faits dont on a conscience, mais qui sont tellement à l’encontre de la dogma qu’on n’ose pas les dire trop fort. Je pense spécifiquement à certaines visions de l’enseignement de la communication où le réel n’a pas la place qu’il mérite, où des théories absolues (proches des recettes miracles) peuvent être préconisées un peu trop systématiquement, et où l’on raisonne outils plutôt que stratégie. Résultat, un formatage anti-lucidité ;
– lucidité partagée dans l’organisation ;
– fonctionnement de l’organisation qui permette les remises en question (à l’inverse de : « on a toujours fait comme ça », « cela irait contre notre culture d’entreprise », « chez nous, on ne s’occupe pas de ces détails »).

Précieuse et élusive lucidité

La lucidité n’est donc pas un absolu. Pas plus qu’elle ne dure. Chaque jour remet à zéro notre compteur personnel de lucidité. Faire preuve de lucidité est un exercice sans fin et surtout il peut se révéler inconfortable : le réel est à la fois complexe (les fameuses nuances de gris) et souvent assez laid. Mais quelle ressource, quelle aide à la prise de décision !

Quant à cet article, soyons lucides, peu le liront jusqu’au bout. La lucidité n’empêchant pas l’espoir, peut-être sera-t-il utile, et participera-t-il, comme je l’espère tous mes articles, à nourrir la réflexion personnelle de quelques-uns.

Crédits photo : vignette, nous sommes tous des colibris, via Shutterstock ; visuels campagnes via Stratégies et Résistance à l’agression publicitaire.

One comment to “Lucidité”
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