L’abus de communication est mauvais pour la santé

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Dans le cadre de l’écriture de mon essai sur la communication responsable, à paraître en octobre prochain aux Éditions Charles Léopold Mayer, voici un nouvel extrait, en mode « document de travail »…

L’importance de la communication dans la propagation de modes de vie est non négligeable. Entendons-nous bien : il ne serait pas juste d’attribuer à la communication la pleine, unique et exclusive responsabilité de tous les maux de la Terre, pas plus qu’il suffirait de changer la façon de pratiquer la communication pour que tout change du jour au lendemain. C’est un aller-retour constant, un jeu de pression et d’influence entre les publics, les acteurs politiques et économiques et la communication, dans lequel cette dernière joue un rôle moteur.

Reste que la communication a de tout temps été associée à des campagnes de propagande ; qu’à l’origine de ces campagnes, on retrouve la plupart du temps les idées non pas des annonceurs, mais des agences ; et que ces dernières sont souvent encore en activité aujourd’hui, ce qui laisse songeur sur l’évolution des pratiques. Pour quelle raison les mêmes structures ne promouvraient-elles plus les mêmes pratiques ? Prenons comme exemple la communication sur la santé, à commencer par un de ses ennemis : le tabac.

Campagnes emblématiques du tabac : les « flambeaux de la liberté », le cow-boy Marlboro

Pour retrouver un premier moment fort de la promotion du tabac, remontons à la fin des années 1920 aux États-Unis. Le tabac était alors plutôt réservé aux hommes, et les seules femmes qui fumaient le faisaient comme un vrai acte de rébellion, interdit par la loi dans plusieurs États. Pour l’industrie du tabac, et plus précisément American Tobacco, le manque à gagner était énorme. Ils engagèrent donc Edward Bernays, le père de la communication-propagande, pour remédier à ce problème.

Pour résoudre ce « problème » éminemment sociétal, Bernays choisit de modifier la perception de la cigarette dans l’opinion publique, de l’associer avec ce qu’il y avait de plus glamour à l’époque : le mouvement des Suffragettes. La scène emblématique de ce coup de promotion eût lieu à la parade de Pâques à New York, en 1929. Bernays a choisi des Suffragettes sur leur apparence, pour que l’Américaine moyenne puisse s’identifier, a payé ces Suffragettes pour qu’elles s’affichent avec des cigarettes, a embauché des photographes pour contrôler les images, puis les a transmises à la presse. Le coup de génie est de s’être associé à une revendication de plus en plus évidente, celle du féminisme, et de faire d’un produit le symbole de cette revendication. Les cigarettes devenaient ainsi les « flambeaux de la liberté »…600px-Suffragettes,_New_York_Times,_1921On retrouve là une technique encore abondamment utilisée aujourd’hui : la seule présence de célébrités comme gage suffisant de légitimité du produit. L’idée est neuf fois sur dix complètement absurde et dénuée de tout fondement, la star n’ayant aucune expertise en la matière. Quand on analyse le bilan de l’opération de Bernays, les femmes n’ont pas plus été avancées de fumer ; elles y ont perdu la santé et de l’argent, sans y gagner en liberté.

Cette association entre tabac et femmes ayant été bien cristallisée, les années 50 furent le moment pour les cigarettiers d’essayer de reconquérir le public masculin. Ce fut donc l’invention du cow-boy Marlboro. À l’origine de cette campagne de 1954, une agence : Leo Burnett, agence en charge du budget Philip Morris sans discontinuer depuis 1954. Bel exemple de fidélité, mais qui teinte fortement l’image de cette agence. Les images sont connues, comme maintenant le fait que les deux principaux cow-boys Marlboro, Wayne McLaren et David McLean, sont tous deux morts d’un cancer du poumon.

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Dis-moi quelle est ton agence, je te dirai qui tu es

Des agences restent comme cela marquées par une typologie de clients : malgré son (supposé) arrêt en 2013, EuroRSCG reste associé à la politique (François Mitterrand, Dominique Strauss-Kahn, Jérôme Cahuzac), Australie à la grande distribution (Leclerc), Protéines à la malbouffe et aux laboratoires pharmaceutiques (McDonald’s, Coca Cola, Sodebo, GSK, etc.), pour n’en citer que quelques-unes.

Aucune discrimination à faire à leur égard : elles ont un positionnement et s’y tiennent souvent assez rigoureusement. Mon propos consiste simplement à constater que derrière une apparence de modernité, une certaine permanence existe dans la communication. Les agences sont souvent les mêmes, et si des évolutions peuvent avoir lieu, les campagnes emblématiques des décennies passées ont forcément un impact sur la façon dont elles opèrent aujourd’hui.

Crédit photo : D’Oh Boy, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by ; Suffragettes, New York Times, 1921, sur Wikimedia Commons, image dans le domaine public ; National Museum of American History, sur Flickr, licence Creative Commons by-nc-sa.

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