Le discours de vérité

Mon précédent billet en a apparemment destabilisé plus d’un, vu les réactions que j’ai pu en avoir en off. Je n’en attendais pas moins, et j’aurai l’occasion d’y revenir assez longuement – vous comprendrez pourquoi la semaine prochaine. Une question m’a été posée : « oui, mais alors, comment on fait ? Comment on fait pour réaliser un changement si monumental ? » Ma réponse ? « Pas compliqué. On commence par dire la vérité. »

Mais qu’est-ce que cela veut dire, « dire la vérité » ? De vérité, il n’y en a pas une seule et unique, et elle n’est simple ni à appréhender ni à transmettre. La vérité n’est pas un but, c’est un chemin (me voilà bien philosophique, rassurez-vous, cela ne dure pas). L’important, c’est l’attitude et la volonté de laisser paraître toutes les facettes de sa situation. Vos publics sont capables de comprendre que vous n’êtes pas parfaits – et c’est même cette imperfection qui peut vous rendre attachants.

Toujours perdus ? Vous le serez moins après avoir lu ma traduction de l’article suivant, pioché sur le site TreeHugger.

(Toute allusion dans le titre à une expression très en vogue dans la politique, et où le mot « vérité » tend à prendre un sens pour le moins éloigné de… la vérité, serait totalement fortuite et involontaire.)

 

LA chose à faire pour les marques qui veulent changer le monde

The One Thing Every Brand Should Do to Change the World – Sami Grover sur TreeHugger

Je travaille tous les jours sur l’identité de marques socialement responsables et d’ONG (NdT : tiens, un alter ego !). Je reçois donc un bon petit nombre d’invits pour des événements sur « le branding et le développement durable », ou « comment la marque peut changer le monde ». Souvent, ces invits sont enrobées de couches épaisses de jargon corporate et RSE. Et pourtant nous oublions que la chose la plus simple, la plus efficace que n’importe quelle marque peut faire pour changer le monde est hyper simple.

Pourquoi ne pas tous dire la vérité, pour changer ?

Une conférence sur les marques avec un peu de substance ?

J’ai commencé à y penser après avoir reçu un communiqué à propos d’un énième événementiel sur les marques, intitulé « les marques et le marketing peuvent-ils garantir un futur durable ? » Si l’idée d’une énième table ronde sur ce sujet n’est pas des plus excitantes, celle-ci était plus prometteuse que la plupart – elle était organisée par Forum for the Future, une association qui agit pour de vrai (cf. leur action inspirante sur l’Innovation systémique, par exemple), et y étaient présents des acteurs de premier plan comme Ian Yolles, Directeur développement durable de Recyclebank, et Jeffrey Hollender, co-fondateur de Seventh Generation.

Les success stories, c’est bien. Les échecs, ça c’est important.

Mais autant il m’intéresserait d’entendre parler des succès de pionniers du business durable, ce qui me ferait vraiment kiffer serait leurs échecs, leurs insuffisances, et les défis qu’ils ont affrontés. J’aimerais aussi entendre la même chose de la part des marques qui ne sont pas identifiées comme des leaders de la RSE.

Si les accusations de greenwashing peuvent être un moyen important de corriger les contre-vérités dans un marché où elles abondent, j’ai peur qu’une attitude trop « il y a eux et il y a nous » en ait mené certains à renoncer totalement au débat sur la durabilité, ou à adopter un message tout aussi agressif. Les débats et les mensonges ont beau trouver une caisse de résonance sur Fox News, le fait est que les deux tiers des plus grandes entreprises mondiales mettent le changement climatique au cœur de leur stratégie d’avenir. Alors au lieu d’une énième pub sur les investissements d’une compagnie pétrolière dans le gaz naturel, habile, brillante et pourtant largement dénuée de fond, ou une campagne pleine de colère et d’accusations des groupes écolos qui s’y opposent, imaginez si l’on pouvait vraiment entendre une entreprise dire la vérité. Une vérité qui donnerait quelque chose comme ceci :

Nous sommes une compagnie pétrolière. Nous avons créé cette entreprise à une époque où le pétrole était abondant, et où nous n’avions as compris le changement climatique. Maintenant nous sommes dans un monde où les émissions de CO² sont un grave problème ; où le pic pétrolier est des plus proches ; dans lequel nous devons trouver un chemin économiquement viable en partant de notre position d’énorme pollueur, vers un rôle plus de soigneur ou de régénérateur. Voilà comment nous avons prévu de faire, et voilà les gros défis que nous allons affronter. Oh, et au fait, ouais… nous avons effectivement financé ces groupes paramilitaires au Nigéria.

OK, je ne suis pas suffisamment naïf pour m’attendre à une telle annonce là maintenant. Et jusqu’à ce qu’on voie ça, j’espère que les activistes vont continuer à cogner aussi fort qu’ils le peuvent sur ces entreprises. Mais derrière mon optimisme déraisonnable, il y a un argument important – la seule chance que nous ayons de créer une économie durable est si les entreprises regardent de près leurs actions, ouvertement et honnêtement. Aucune entreprise ne s’approche même du 100 % durable – alors creusez-vous la cervelle à la fois sur vos victoires et sur vos défis, et préparez-vous à partager les deux.

La transparence rend les marques meilleures

En partageant ce qu’il savait et ce qu’il ne savait pas du solaire, par exemple, Google a beaucoup fait avancer notre compréhension collective de la technologie – et en est sortie plus fort. De même, dans mon travail nous avons fait face à des questions de choix de packaging pour Larry’s Beans, et plutôt que de se battre contre tout le monde, nous cherchons à engager toutes les parties prenantes (y compris les critiques) dans des conversations à propos de ce que nous devrions faire.

On ne peut pas tout changer

Et oh, si votre coeur de métier dépend fondamentalement d’une destruction active de la planète, vous feriez mieux soit de trouver un moyen de changer de A à Z (bonne chance !), de chercher une nouvelle source de revenus, ou d’accepter qu’un jour la loi vous interdira d’exercer, ou que les systèmes planétaires et culturels dont dépendent la survie de votre entreprise ne seront plus capables de vous supporter.

Et ça, j’en ai bien peur, c’est la vérité.

 

Crédit photo : Môsieur J. [version 5.9a], sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.

2 comments to “Le discours de vérité”
  1. Bonjour Yonnel,
    « Ce qui me ferait vraiment kiffer serait leurs échecs, leurs insuffisances, et les défis qu’ils ont affrontés » : je suis bien d’accord avec ça. Prenons un rapport DD par exemple. Dedans, il n’y a que du positif ! Qui va oser présenter les difficultés voire les échecs rencontrés au cours de l’année passée ? Et pourtant, il faudra bien y venir si l’on veut (vraiment) adhérer à cette démarche de transparence dont tout le monde se réclame !
    À bientôt
    Mathieu

    • Merci Mathieu !

      Tu mets le doigt sur l’enjeu fondamental des rapports DD ! L’enjeu et l’opportunité. Toutes les grandes entreprises ont une image déplorable auprès des ONG. Mais imaginons qu’une d’entre elles ose approcher la chose sous l’angle que tu suggères, et qu’elle demande de l’aide à ses parties prenantes. Un rapport DD participatif, point de départ d’une amélioration concertée. Oh le joli coup que cela serait pour cette entreprise, avec en plus (c’est une condition sine qua non) une vraie plus-value RSE. Tout le monde en parlerait. Éthique ET performance. Rêve de communicant responsable (accessible, non ?) 😉

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