Il y a quelques mois, j’ai répondu à une étudiante qui allait parler de « la communication responsable en interne » lors de sa soutenance de mémoire. Voici, avec quelques aménagements, la réponse que je lui ai apportée, et qui correspond pleinement à ma série d’articles sur les différentes formes que peut prendre la communication responsable. Merci, Clémence !
Sujet très intéressant que celui de la communication interne vu sous le prisme de la communication responsable. Pourtant, il existe à ma connaissance très peu de documentation sur le sujet, en tout cas rien qui traite directement de la responsabilité de la communication en interne. Un vieux (enfin, 1988) livre d’Alain Revon intitulé « La communication ascendante » ; sinon soit les ouvrages techniques, genre « Communicator », « Dynamiser sa communication interne » (que je ne dénigre pas !), etc., soit les livres sur les RH, genre « Entreprises-salariés : une autre idée de la relation ».
Pour moi, la com interne, c’est l’essence de la relation avec un public non-uniforme, et c’est un des exercices les plus difficiles, parce qu’il y a dans la plupart des structures à la fois un énorme désenchantement envers le travail et envers les organisations, et une curieuse manie de la part des dirigeants et des salariés de ne pas dire les choses telles qu’elles sont (le plus souvent, préserver les apparences quand il y a des problèmes). Souvent, d’ailleurs, on ne sent pas venir les problèmes. Et souvent, on traite la com interne comme la 18ème roue du carrosse (une étudiante de 3ème année a été chargée cette année de concevoir et mettre en œuvre un plan de communication sur les risques psycho-sociaux pour l’antenne régionale d’une entreprise de télécoms dont le nom est une couleur. Qui n’est pas bleue. Le seul fait que cette entreprise, avec son passé légèrement tumultueux, confie cette mission hypra-sensible à une stagiaire de 3ème année, est assez éloquent, et c’est une prise de risque considérable – ou alors un stage bidon).
Écouter… et apprendre à questionner
Je vais certainement me répéter un poil, mais la première compétence, en com interne, c’est de savoir écouter et poser les bonnes questions pour déceler les problèmes et faire dire la vérité aux salariés. Ce n’est pas une mince affaire. Quand on demande « êtes-vous satisfait(e) de vos conditions de travail ? », que le/la salarié(e) sait que vous venez de la part de la direction, on a 90% de chances que le/la salarié(e) coche la case « Très satisfait ». Mais en fait, sa réponse veut dire « on discute quand de ma promotion ? » La question posée est très mauvaise, parce qu’elle est trop générique, qu’elle n’est pas ancrée dans le concret et qu’elle fait intervenir mille biais cognitifs. Ancrée dans le concret, c’est demander ce que le salarié fait dans sa journée de travail, et si telle étape lui pose problème, pourquoi elle lui pose problème, à quel point c’est un problème (astuce : demander s’il a essayé de trouver une solution par lui-même, ou fait des recherches pour en trouver. Si pas, 99% de chances pour que ce soit pour le plaisir de râler – mais juste le fait de savoir que tel point donne envie à tel salarié de râler, c’est une info).
Bref, les bonnes questions sont celles qui parlent de ce que les gens ont fait réellement et récemment, pas de ce qu’ils pensent en général. Le pire, c’est de demander « si… alors est-ce que vous… ? » : c’est être sûr d’avoir du ressenti qui ne veut rien dire et dont vous ne pourrez rien faire. Hypothétique, vaporeux, inutile. Nous nous mentons tous (à des degrés divers) quand nous imaginons ce que nous ferions dans un contexte que nous n’avons encore jamais rencontré.
Il est donc extrêmement dangereux de se fier à l’opinion brute des salariés, recueillie avec des moyens « classiques » ; il y a tellement de facteurs qui la façonnent, et qui souvent ne sont pas exprimés (les conditions de travail, les tensions économiques, les enjeux de pouvoir, la satisfaction/insatisfaction personnelle, les objectifs de chacun, j’en passe), qu’on ne peut pas se contenter par exemple d’un simple baromètre de satisfaction. Le dialogue en direct avec les salariés est toujours le moment où l’on en apprend le plus – si la tension est trop forte, faire intervenir un prestataire qui posera ces bonnes questions.
Communication responsable = confiance
Tout cela, c’est de la communication sensée, et le lien avec la communication responsable est évident. La communication responsable vise à instaurer une relation de confiance et un dialogue. Quand on commence le process par du dialogue, on part forcément sur le bon pied ! (J’ouvre une parenthèse : on voit bien ici la différence entre communication responsable et communication sur la responsabilité. Allez raconter des histoires de développement durable ou de RSE à des salariés que personne n’a jamais écoutés et qui sont en opposition avec la direction, et je vous promets que vous allez être bien reçue. Ce qui importe, ce n’est pas le sujet, c’est la façon dont on conçoit l’échange. Les principes de parole réelle, d’imaginaire vrai, de discours soutenu par des preuves sont évidemment valables en com interne.)
Donc il faut commencer par déterminer de manière fiable le climat social, et si l’on suit la méthodo classique de la stratégie de com/du plan de com, le reste est presque facile : après le diagnostic, le choix des objectifs, du ou des publics, l’élaboration des messages, le choix des moyens, les besoins (financiers et en personnel) nécessaires, le calendrier, l’évaluation. Je parle souvent de cohérence, qui est valable sous toutes ses formes : interne/externe, entre canaux, entre messages, temporelle et spatiale, stratégique, intrinsèque, entre les différentes subjectivités – pp. 129 à 134 d’un excellent livre sur la communication responsable. La cohérence entre la com interne et la com externe est particulièrement importante : de plus en plus, il y a porosité entre les différentes communications, et les salariés réagissent forcément à ce qui se dit de leur structure. Prenez n’importe quelle campagne actuelle de com externe, et demandez-vous comment les salariés risquent de réagir. Parfois assez drôle… ou désespérant, c’est selon.
In-con-tour-nable !
Ensuite, j’insisterai sur le fait qu’en com interne encore plus qu’ailleurs, il faut se méfier des médias à la mode et autres solutions toutes faites. Rien n’est jamais incontournable, ce mot (incontournable) empêche de prendre les bonnes décisions. Ce qui marche souvent le mieux, en com interne, ce sont : 1) le présentiel, et 2) les supports 1.0 comme l’affichage (ah, les bonnes vieilles affiches sur le panneau… eh bien c’est souvent assez efficace), les notes de service. Parfois le web, le réseau social d’entreprise, les notifications sur mobile et autres moocs ou coocs sont très mal adoptés par les salariés. À chaque structure sa culture, à chaque structure son fonctionnement, et donc à chaque structure ses moyens de communication interne. Comment faire pour choisir, alors ? Simple : en observant les routines et le quotidien des salariés. Et quand on a mis en place des actions de com ? On re-dialogue en direct, pour savoir comment cela a été perçu.
L’objectif global, en com interne, c’est d’instaurer un climat de confiance mutuelle entre l’organisation et l’individu. Et bien sûr, cela ne peut pas se faire si le fond ne s’y prête pas. La communication ne peut pas tout. Si les conditions de travail sont inhumaines, que les salariés sont exploités, que des acteurs (qu’ils soient dirigeants, syndicats ou salariés) jouent la carte du blocage, de la pression, du rapport de forces exacerbé, bref que ce n’est pas qu’une question de « climat », de perception, il va être difficile d’instaurer un dialogue serein. La com interne, même dans une grande structure, c’est de l’humain. Quand l’humain est malmené dans la structure (je dis structure, pour bien faire remarquer que la com interne est un vrai sujet dans les entreprises, mais aussi dans les structures publiques et dans les associations, pas les plus avares en problèmes de management), la communication interne ne sert pas à grand-chose. À l’inverse, quand les individus reçoivent de la considération et sont plus que des numéros, la com interne est un vrai vecteur d’appartenance et de cohésion… et in fine de performance.
Crédit photo : représentation abstraite de relations humaines concrètes, via Shutterstock.
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Encore merci Yonnel pour ces précieux éclairages !
Re-merci, Clémence !
Mesdames et messieurs les recruteurs (oui, il y en a quelques-uns qui passent ici), Clémence, dont je vous recommande fortement la candidature 🙂