(Billet qui mériterait amplement de figurer sur la Désencyclopédie. Zappez si vous attendez un contenu moins auto-centré, et moins long ! Promis, on reviendra à des réjouissances plus professionnelles pour le prochain billet. Et il sera aussi question de ce fameux livre.)
C’est beau d’avoir le sens de l’engagement. Mais peut-être ferait-on mieux de savoir dans quoi on s’embarque. Il y a plus de deux ans et demi, j’étais aux anges d’avoir été contacté pour écrire un essai sur la communication responsable. « Pourquoi moi », me demandais-je alors.
Mais une opportunité comme celle-là, quand on a réfléchi depuis des années sur la communication responsable, que l’on essaie modestement de la mettre en pratique, et que l’on milite pour son adoption la plus large possible… eh bien on ne la refuse pas. Voici l’histoire, avec un tout petit h, de l’écriture de cet ouvrage, qui sortira (enfin !) à la fin de cette semaine.
Au début, tout était donc rose, façon conte de fées et étoiles dans les yeux. Super maison d’édition, les Éditions Charles Léopold Mayer, où j’allais rejoindre des auteurs admirables (Claude Alphandéry, Dominique Bourg, Corinne Lepage, Thierry Libaert, Edgar Morin, pour ne citer que les plus connus – et une foule d’autres, toujours sur des thématiques et des approches originales et pertinentes). Super conditions pour écrire, avec une totale liberté dans le propos. Et encore plus super : du temps devant moi, avec deux ans pour rendre un manuscrit.
Et c’est peut-être ce qu’il n’aurait pas fallu avoir.
Passé l’enthousiasme des débuts…
Comment fait-on quand on n’a jamais écrit de livre, et qu’on a deux ans devant soi ? On tâtonne, forcément. On se dit qu’on a tout le temps de voir venir. J’ai donc commencé par coucher des idées dans un petit cahier, à la plume, façon écolier, histoire de tester une écriture un peu plus longue, et de savoir ce que je voulais raconter. J’avais un plan très basique, façon sommaire. Deux murs se sont rapidement dressés devant moi : la cohérence interne à chaque partie… et une vision globale pas suffisamment précise. Je m’essoufflais à chaque fois au bout de quelques pages, et l’ensemble n’avait, pour la faire courte, ni queue ni tête. Pas transcendant.
Il me manquait donc à la fois de la structure et de la matière. Six mois étaient déjà passés, et l’affaire était plutôt mal engagée. Une seule chose à faire : rencontrer les références de la communication responsable, pour m’enrichir de leurs idées, de leurs conseils, et confronter mon approche à la leur. Ils furent nombreux à m’accorder de leur temps et de leur passion pour la communication responsable – qu’ils en soient une fois encore remerciés. Principal avantage de cette démarche, cet essai devenait non plus seulement le mien, mais je me retrouvais modestement porteur d’une vision commune, et jusqu’ici pas encore exprimée dans un livre.
Cette phase de réflexion, de lectures et de rencontres a duré de 9 mois à un an. Je pouvais ensuite repartir dans l’écriture, en ayant préalablement blindé un fondamental : le plan. Cette fois-ci, pas question de le laisser à l’état de vague intention, il devait être aussi détaillé que possible, avec la progression de l’argumentation et les grandes transitions. Ce plan a fini par faire près de 8 pages. L’exercice d’écriture n’était plus « écrire un livre », mais « écrire une sous-sous-partie après l’autre », et c’est beaucoup plus gérable.
Été studieux
L’échéance se rapprochait à grands pas, il était temps d’accélérer. J’ai terminé, l’été dernier, par un sprint-marathon (oui, c’est possible) de presque 6 semaines, à 13h/jour, en continu. Pas de week-ends, de rares et courtes pauses. Debout à 6h, matinée d’écriture studieuse 7h-13h, repas puis sieste, après-midi d’écriture tranquille 15h-20h, puis soirée d’écriture paisible 21h-23h. Ceux qui ont déjà écrit savent qu’il est très difficile de tenir ce rythme. Pour tenir une telle cadence, puisqu’il me restait alors une petite centaine de pages à écrire, une seule solution : hygiène de vie hyper-rigoureuse, limite monacale. Du sport, une alimentation saine, pas ou très peu d’alcool, le moins de distraction possible. Beaucoup de musique, pour avoir la pêche : une plongée dans les premiers Queen, du Foo Fighters, du Kayser Chiefs, mais aussi du Avishai Cohen et du Henri Dutilleux (aussi stimulant pour moi que du gros rock), et pour la dernière phase, du Snarky Puppy.
Toutes les bonnes choses ayant une fin, le 25 juillet, j’ai envoyé le manuscrit à l’éditeur. Soulagement (prématuré ?). Peu après, j’ai reçu la préface, signée par un des plus grands professionnels de la communication. Grand moment que la première lecture de cette préface. Ensuite, ce fut le temps des relectures, des corrections, des débats sur telle ou telle expression, sur telle ou telle affirmation. Temps long. Nous avons fini avec une version 3bis. Entre temps, il fallait sans cesse actualiser certains chiffres et exemples. Ce moment était pourtant indispensable pour reprendre de la hauteur sur le propos et consolider la démarche. Cette étape a été réalisée avec un grand sens de la responsabilité : tout le monde n’allait pas être d’accord avec ce qui allait être couché sur le papier, certains se sentiraient peut-être attaqués, des propositions sembleraient difficilement irréalisables, et surtout, peut-être, oui peut-être (aucune certitude à ce jour !), ce livre allait-il avoir une influence sur le petit milieu de la communication des organisations, et permettrait-il quelques prises de conscience. Quand on croit avoir – peut-être à tort – cette responsabilité-là, on essaie de peser chaque mot.
Attention, activité addictive
Conclusion de ces deux ans et demi : n’écrivez jamais de livre. C’est une galère monstrueuse. Cela demande des efforts continus, une énergie réellement hors du commun et qu’il faut tenir jusqu’au bout. Pour avoir déjà écrit un petit paquet de textes, y compris des pavés, rien ne ressemble à l’écriture d’un livre que l’on va publier. On y passe un temps fou. Financièrement, c’est du grand n’importe quoi. La pression de la page blanche (pour moi plus une pression qu’une angoisse) n’est pas une légende. On peut facilement se faire « bouffer » par la difficulté de l’exercice. Il est également fort difficile de faire autre chose : soit on écrit, soit on bosse (aussi étonnant que cela puisse paraître, les clients acceptent assez mal l’excuse du « j’étais en train d’écrire mon livre » quand ils attendent leur livrable). Votre entourage vous prend forcément un peu pour un cinglé, dont toute l’énergie est concentrée vers ce bouquin qui peut paraître si hypothétique.
Non, n’écrivez pas. Parce qu’après avoir terminé, peu importe la galère que cela aura été, vous aurez bien du mal à vous défaire d’une question… Quand est-ce que je commence le suivant ?
Crédit photo : Alex Murphy, sur Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.
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Merci pour ce témoignage plein de franchise qui m’a fait beaucoup rire et dans lequel je me suis un peu retrouvée. Je peine moi-même depuis 2011 sur un petit projet de livre (projet perso, pas de commande d’éditeur) sur la communication verte en Nouvelle-Calédonie (où je vis et travaille). Je n’ai rien écrit depuis 1 an : trop de boulot (tant mieux me direz-vous, car le livre va plus me coûter que me rapporter). Mais maintenant, le sujet a évolué, les données sont à actualiser et j’envisage de changer mon fusil d’épaule en proposant un débat à livre ouvert entre acteurs du domaine. Vais-je avoir le courage, l’énergie et le temps ou vais-je me laisser influencer par le titre de votre billet ? Nul ne le sait ! En tout cas, j’ai commandé votre livre, on va déjà commencer par le lire. Merci pour votre contribution à la cause. Bien cordialement
Merci pour ce commentaire vivifiant, Catherine, et bienvenue sur ce blog ! Je me reconnais donc également dans votre expérience… et ne saurais trop vous encourager d’aller au bout. Je me souviens du moment où j’ai posé le point final : cela valait bien tous les grands 8 du monde.
Non écrire un livre ne rend pas riche à millions (encore que… sur un accident, un malentendu ou un hasard…), et ce ne doit pas être l’objectif principal. Mais pour tout le reste, c’est tout de même extrêmement positif. Tenez-moi au courant de ce que vous aurez pensé du mien, et de la sortie du vôtre !
Voilà, je l’ai lu, même relu certains passages (non pas qu’ils étaient incompréhensibles, juste pour le plaisir). J’ai pris mon temps, le temps de digérer tout, de mûrir une réflexion nécessaire après tant de remises en question. Merci. J’ai beaucoup apprécié. Un véritable Tsunami communicationnel.
Complet, riche, argumenté, plein d’exemples (c’est terrible comme on aime les exemples), libre (dans le sens pas auto censuré), cru et sans ambages, piquant, entier, parfois même un peu trop : j’ai tiqué sur la critique des pubs « bébé » d’Evian, sont elles si irresponsables que vous le dites ? Cette question me trotte dans l’esprit depuis un moment. Ca pose la question du niveau de crédulité des consommateurs. En buvant Evian (bon, je ne bois que de l’eau du robinet, en écolo convaincue, mais admettons), va t-on vraiment penser qu’on va rajeunir ? Est-on si cons que ça ? Je crois que personne ne le croit, on trouve juste que la pub est marrante. Allez, le débat est ouvert, quel est l’avis du vieux sage ? (cf Thierry Libaert 😉 )
Mis à part ce petit désaccord tout à fait personnel, c’est un super bouquin qui devrait être remboursé par la Sécu. Pour ma part, j’essaie d’en diffuser les principes en Nouvelle-Calédonie : Y’a du boulot ! Bonne chance pour la suite et tenez moi informé de vos prochaines productions.
Bonjour Catherine,
Merci beaucoup pour votre commentaire et toutes mes excuses pour ne pas avoir répondu avant (faible activité du blog = forte activité professionnelle). J’adore l’expression « tsunami communicationnel » ! Ça, c’est du compliment ! Et merci d’avoir noté la grande liberté de ton – pour laquelle je peux d’ailleurs remercier les Éditions Charles Léopold Mayer. Un énième livre où l’on passerait sous silence les problèmes d’une profession qui est en train d’en crever, quel intérêt ?
Alors fatalement, quand on prend position, on ne fait pas que des heureux… OK, j’y suis allé fort sur Évian. Mais le caractère artificiel de ce positionnement m’interpelle toujours. Sommes-nous assez cons pour prendre cela à la lettre ? Je suis persuadé que oui. C’est là la puissance de cette idée : même si nous avons bien conscience que l’eau n’apporte pas la jeunesse, cela rentre en ligne de compte (ou en ligne de conte ?) dans le choix du consommateur. C’est dans le capital de mentalisation de la marque : on associe Évian à la jeunesse. La plupart n’ont pas conscience des mécanismes publicitaires, et « gobent » les messages sans réfléchir plus loin que le bout de leur nez. J’aime beaucoup aller parler avec les publics des marques (c’est d’ailleurs en train de devenir une de mes caractéristiques professionnelles – savoir recueillir des données fiables des conversations clients), et je suis souvent frappé par ce manque de distance. Oui, l’idée autour de la campagne Évian est incroyablement puissante, parce qu’elle répond à un espoir caché de beaucoup : pour rajeunir, ils feraient beaucoup… y compris boire une eau minérale particulière, la seule qui leur promette la lune. « Bon, ce n’est peut-être pas vrai, mais ça ne peut pas faire de mal ? Allez, on ne sait jamais, c’est toujours mieux que de l’eau du robinet, qui elle, ne me dit rien sur sa capacité à me rajeunir… » Est-ce que je force encore le trait ? Je ne crois pas. Ce n’est pas de la connerie, c’est l’exploitation mercantile de la psychologie humaine. Mais je conçois parfaitement que l’on puisse voir cela autrement.
Je transmets au « vieux sage », qui appréciera 😉
Y’a du boulot pour propager cette conception de la communication partout. Et cela prendra du temps. Merci de faire partie de ce mouvement ! Vous avez de l’avance sur la suite !
Auto-commentaire bien des années plus tard : eh bien finalement cet ouvrage suivant, on l’attend encore.
Ce ne sont pas les idées qui manquent. Mais d’une part entre bosser et écrire, mon choix est vite fait (oh les belles aventures depuis 2014 !), et d’autre part je ne suis pas persuadé que les livres soient le meilleur moyen de changer les choses (je me trompe peut-être…).